Plan 75
Présenté en compétition à Cannes (2022)
Ce film japonais se situe dans un avenir imaginaire proche et prend pour thème le suicide demandé par des personnes âgées, dans les conditions spécifiques autorisées par une nouvelle loi.
On sait que la démographie au Japon pose beaucoup de problèmes aux gouvernements : 125 millions d'habitants – en baisse régulière – une natalité en berne ; 28% des Japonais ont plus de 65 ans. Cette proportion de personnes âgées, voire très âgées, dépasse les capacités financières de l’Etat et excède même les possibilités de soins aux retraités. C'est dans cette situation – réelle – que se déroule cette pure fiction.
Dans ce film, de nombreuses voix s'élèvent contre cette charge insoutenable pour le budget de l'Etat (et des particuliers) que représente ce grand nombre de séniors. Est donc votée une loi appelée Plan 75…
Cette loi stipule que les personnes de plus de 75 ans qui souhaiteront un suicide assisté peuvent se présenter dans un bureau dédié où elles seront reçues par un jeune cadre dynamique qui explique la règle : lors de la signature du contrat, les demandeurs recevront un pécule de 100 000 yens (environ 800 euros). Après leur décès, ils seront crématisés gratuitement et en groupe (la crémation individuelle est un luxe qui se paie au prix fort !). Bien sûr, il est convenu qu'ils pourront revenir sur leur décision à n'importe quel moment. Ils seront donc régulièrement suivis et contactés au téléphone par des écoutants qui s'enquièrent de leur vie et de leur état d’esprit.
La procédure est opérée par une entreprise privée qui annonce, au bout de 3 ans d’activité, des milliards de yens de chiffre d'affaires (correspondant à 10 000 contrats, à comparer aux 1,5 millions de morts annuels au Japon). Cette pratique semble correspondre à une réelle attente ; pour peu de personnes, certes (0,66% des décès annuels), mais on sait par ailleurs comment les Japonais ont un grand besoin d'utilité sociale : rester à la charge de la société n'est pas du tout dans leur culture.
Bien sûr, sur cette toile de fond, se greffe une histoire très humaine, une relation entre une personne de la société en charge de l'aide à mourir et une personne âgée. On suit le quotidien d'une femme âgée, intéressée par le programme proposé : travailler à son âge devient impossible et elle ne voit pas de solution pour ses très vieux jours. Entrée en contact avec une aide-soignante (une émigrée philippine – une réalité japonaise aussi), des liens se créent, des échanges verbaux et presqu'amicaux se développent. Le jeune cadre dynamique de cette société s'occupe de son côté d'un vieil oncle malade.
On vit aussi les jours de solitude de plusieurs dames âgées, d'un homme qui s'inscrit lui aussi, la difficulté pour ces seniors de trouver un emploi, le risque d'être mis à la porte de leur logement, la fermeture du bureau de l'aide sociale et, plus globalement, le grand éloignement des enfants. Toutes préoccupations de la société japonaise actuelle…
Devant le succès du Plan 75, le gouvernement envisage de passer l’âge légal pour demander ce service à 65 ans. Tout va-t-il pour le mieux ?
Le film (une dystopie, précise le producteur) montre tout ce qui peut être utilisé contre le choix du suicide assisté et considéré comme une évidente dérive. On ne manque pas de penser au film Soleil vert (de Richard Fleisher, 1973) où l'on incitait les vieux à aller mourir dans un environnement agréable, en choisissant leur musique et le paysage qui figurera en arrière-plan, sur un écran panoramique.
Alors, en sortant, on se dit que ce film soulève des questions fondamentales…
- bien sûr, l'inscription à ce programme (Plan 75) se fait sur la base du volontariat, mais la pression sociale est forte (« les vieux coûtent cher »).
- les enfants sont loin et ne s'occupent pas de leur parent âgé.
- les services d'aide sociale sont totalement absents (au Japon, les retraites sont si minuscules que les personnes âgées doivent très souvent travailler au-delà de 70 ans).
- la dérive commerciale de l'entreprise missionnée qui fait feu de tout bois, notamment en récupérant les objets laissés (montres, colliers...).
- le texte de loi initial fixe l’âge légal à 75 ans, puis à 65… Où s’arrêtera-t-on ?
Ne manquez pas de voir cette dystopie, et préparez-vous à des débats très animés à la sortie de ce film qui a la beauté et la nuance de l’art japonais !
CB