La fille de la grêle - Delphine Saubaber
« Allez, viens, maman, on va te mettre au fauteuil…
Je m’éteignais avec lenteur, mes muscles, mes os, mes mains percluses de douleur, tout me quittait, dans l’ordre, successivement. Tu me regardais en silence, tu regardais mon enveloppe te parler de sa voix douce, te rassurer de sa présence au monde, et tu ne voyais pas que je n’étais plus un corps mais un esprit, des émotions enfouies, un cœur cognant sous une peau aussi fine que de la poudre. »
Marie a choisi « entre la mort et la déchéance », pour que sa fille tant aimée n’ait pas à le faire pour elle : « Je pourrais vivre encore un peu, c’est vrai. Mais faut-il vivre jusqu’au bout ? […] jusqu’à perdre toutes ses forces, ses facultés mentales, et finir dans une housse zippée par des hommes en blanc pour être enterrée avec les yeux comme deux tâches d’aquarelles ! »
Elle nous fait entendre l’appel soudain de son enfance, enracinée entre combes et coteaux dans la terre du Sud-Ouest profond, baignée d’amour et de dureté, de richesse intérieure et de misérable indigence, de jubilation et de terreur, de grandeur d’âme et de lâcheté, de mensonges, d’idéal, de culpabilité.
Marie raconte, Marie témoigne, Marie nous aime, maternelle, fraternelle, y compris depuis sa lecture juvénile et quasi mystique de Bernardin de Saint Pierre dans Paul et Virginie : « La mort, mon fils, est un bien pour tous les hommes ; elle est la nuit de ce jour inquiet qu’on appelle la vie. »
A travers les paroles de Marie, ce sont les mots de Delphine Saubaber, amoureuse des gens et infatigable chercheuse de vérité, qui creusent et soignent notre magnifique complexité humaine, noble, cruelle, sombre et lumineuse.
Le monde « en guerre », y compris à l’intérieur de nous-mêmes, avant ce premier roman, elle l’a en effet réellement parcouru comme grand reporter, résolument engagée pour des rapports éclairés donc apaisés à la nature et aux êtres les plus fragiles, enfants, vieillards, exclus de tous bords, victimes comme bourreaux, sur la question de la violence, de la souffrance et plus fondamentalement, du mal que peut (se) faire l’être humain.
Sans détour, sa parole, son écriture, alliant la sobriété et la justesse crues à la pudeur, la poésie, l’humour et l’amour de tout ce qui est vivant, nous saisissent et nous bouleversent avec une tendresse et une délicatesse infinies.
Avec Delphine-Marie, nous pleurons sur notre pauvreté, nos blessures intérieures et notre enfance jamais bien loin. Des larmes, mais comme une heureuse pluie de mots venant soudain adoucir nos brûlures, rafraichir nos pensées les plus tourmentées, inviter notre cœur à se délester de tant de choses qui l’encombrent et écouter :
« Je te regarde encore ma chérie. Sous mes paupières tu cours sans fin avec ta naïveté d’enfant. Je mange tes joues rouges, j’embrasse le vent dans tes cheveux d’or, nous dansons sur les volcans, nous marchons à deux pas du soleil. »
CG
Publié en janvier 2022 - 19€00
Editions JC Lattès