L'après-midi sera courte : plaidoyer pour le droit à l'euthanasie - Nadia Geerts
Disons-le tout de suite, ce livre est important et dense, passant de l'expérience personnelle de la mort d'une maman à une réflexion philosophique, théorique, juridique autour de la question du droit au suicide ou du droit à l'euthanasie.
Une vieille dame de 80 ans devient dépendante, quatre ans en fauteuil, une dépendance de plus en plus lourde à supporter pour elle. Pourtant, malgré ses demandes réitérées, elle ne peut bénéficier d'une aide active à mourir, elle n'est pas en fin de vie. Elle sera entendue lorsque le médecin oncologue lui découvre un angiosarcome, sans espoir de guérison. Nous sommes en Belgique ! Son souhait de mort programmée en milieu médicalisé pourra être entendu ! Le récit est fait par sa fille des jours qui séparent la décision de la réalisation, la douleur de la séparation prochaine, les souvenirs, le respect de la décision, le retour sur ses relations avec sa mère, pas toujours faciles bien sûr, la fréquentation du milieu médical. Médecins, aides-soignantes ne sont pas toujours aussi empathiques que l'on imagine lorsque cette question est abordée !
Tout cela se passe, et la vieille dame décèdera en début d'après-midi, elle avait tout préparé, sa dernière tenue, ses derniers mots, le dernier repas qu'elle partage avec sa fille. Humour belge ? le verre d'eau est servi dans un verre de « mort subite » …
L'auteur, professeur de philosophie, passe dans un registre plus réflexif. D'abord, de façon très pédagogique, par une série de définitions toujours utiles, pour éviter les confusions. Un point détaillé est fait aussi sur les législations des pays européens qui autorisent l'aide active, le suicide assisté, l'euthanasie, beaucoup de détails peu connus de nous sur les Pays Bas notamment et les questions qui se sont posées dans ces pays avant le vote de leur loi, mais aussi après, en ajustements demandés : la question de l'âge (aux Pays Bas sans considération de maladies ou de pathologies), la question de l'écoute des mineurs (2 ans, 12 ans, 16 ans, 18 ans), la question très difficile des malades mentaux.
Elle a beaucoup étudié aussi le cas français, les discours des uns et des autres lors du vote de la loi Leonetti (2005), les amendements défendus. Les références recherchées dans les discours des responsables religieux, catholiques, protestants, juifs et musulmans, sont intéressants, tous consacrant l'impossibilité d'une mort choisie, à la fois parce que la vie d'un homme est dans la main de Dieu, et aussi pour des raisons d'appartenance à une communauté. D'une certaine façon, l'être humain ne s'appartient pas totalement, il appartient aussi à sa communauté.
Plus rarement évoqués, les quelques jugements de la Cour européenne saisie en application de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, en 2011. La Cour reconnaît le droit de mettre fin à ses jours, mais pas l'obligation des Etats de les y aider, car « la majorité des Etats semblent donner plus de poids à la protection de la vie ». La Cour donne toute latitude aux Etats pour légiférer sur ce sujet !
L'auteur assume totalement une position laïque (non soumise à quelque religion) et sans appartenance à une religion. De là, ses conclusions sur le respect d'un droit de disposer de son corps sans considération de « communauté ». Mais cela se révèle plus compliqué que cela.
Depuis le Moyen Age en Europe et en France, le suicide est malmené, les suicidés mis hors du monde social, une honte pour le suicidé : sa famille va le cacher. Elle apporte pas mal de données chiffrées sur le suicide.
Restent les questions plus strictement médicales : soulager la souffrance fait partie du serment d'Hippocrate. Les lois sur la fin de vie, y compris en France, engagent à soulager ces malades, alors pourquoi ne pas aller au bout de ce soulagement ? Lorsque les souffrances deviennent intolérables sur la durée et inapaisables.
Il faut dire que les soins palliatifs ont été inventés pour cela, soulager, accompagner, jusqu'à la fin. En Belgique l'auteur note que les soins palliatifs sont souvent un « sas » parfois suivi d'une demande d'euthanasie. La loi belge, d'ailleurs, a prévu le recours aux soins palliatifs en même temps qu'elle légalise le recours à l'euthanasie dans des cas précisément encadrés, et qu'elle reconnaît aussi une clause de conscience pour les médecins qui peuvent donc refuser un tel acte.
En France, la loi « fin de vie » insiste sur les soins palliatifs, mais n'a pas donné les moyens suffisants pour les développer largement dans l'ensemble du territoire !
Enfin, l'auteur aborde la question de la dignité, c'est quoi la dignité invoquée ? Pour un évêque dont elle cite le propos, « la dignité de l'homme tient à son humanité même et rien ne saurait ôter cette dignité ». Donc tout être humain est digne ! Et demander à mourir plus vite serait un contournement d'un devoir de vivre, devoir quasi « social » ou communautaire.
Pour d'autres, la dignité est une valeur reconnue par la DUDH qui « interdit de traiter [les hommes] d'une manière telle que leurs droits fondamentaux soient bafoués ».
Que sera la dignité ? Celle de la personne ? Ou celle de sa vie ? Un homme peut être digne en toutes circonstances, mais aussi considérer que les circonstances qui sont faites à sa vie hic et nunc ne le sont plus.
Ce chapitre, comme les précédents, est à lire et relire, car la question du « mourir dans la dignité » est controversée, et soumise à tant d'interprétations…
Vous l'avez compris, ce livre très dense mérite une lecture attentive, de le reprendre, l'annoter, et aller se référer aux nombreuses notes d'orientation bibliographique en bas de page.
CB