Onze jours sans fin - Quyên Ngo Dinh Phu
Quel que soit son âge, l’adulte qui doit faire face à la mort de sa mère redevient fragile comme l’enfant qu’il a été. Et lorsque cet enfant est impuissant à aider celle qui l’a accompagné jusqu’à l’âge de raison, il souffre. Si de surcroît on l’oblige à assister à ce que l’auteur dénonce comme un « supplice légal » il en résulte une désespérance insondable, trois années de déséquilibre psychique, et un livre de témoignage touchant d’authenticité.
Quyên Ngo-Dinh-Phi, décrit jour après jour les affres engendrées par la mise en place du protocole Claeys-Leonetti. L’état végétatif et hémiplégique de sa maman étant irréversible, il sait que « s’il n’y a plus rien à faire » elle veut mourir rapidement. Seulement...elle n’a rien signé, rien prévu à l’avance. Il faudra donc appliquer la loi dans toute sa froideur administrative : attendre une semaine à dix jours avant d’administrer un dosage de morphine – ou autre sédatif – pour l’aider à en finir.
Ces dix jours font s’enfoncer Quyên dans un abîme d’angoisse, de culpabilité, de fatigue tant physique que psychique, et de questionnement. La mise en page très aérée permet presque de prendre des notes au fur et à mesure de la lecture.
Pourquoi attendre puisque la fin est inéluctable ? A quoi cela sert-il ? La première pensée qui vient est la colère, celle qui incite à chercher soi-même une solution immédiate. Puis le doute s’installe, et s’il y avait encore un espoir ? Mais au fil des jours, et donc des pages, il devient évident que celle qui a été une mère, avec ses défauts et ses qualités, s’amenuise, se dilue en tant qu’être humain. Et son fils, qui vient la voir deux fois par jour, sombre avec elle. Pourquoi n’y a-t-il que si peu d’êtres vivants dans cette unité hospitalière ? Il n’a rien à reprocher aux soignants – bien peu nombreux pour un service entier – toilette, draps propres, perfusion, rien ne manque. Sinon des accompagnants pour le vivant qui oscille entre « peut-elle m’entendre, me comprendre, me voir ? », et la certitude que s’en est terminé de toute communication.
Le médecin, lorsqu’il est visible, assure qu’elle ne souffre pas et s’en tient au protocole. Infirmières et aides-soignantes sont moins affirmatives, l’une d’elles explique même que sans nourriture, l’estomac souffre, au moins durant les premiers jours. Elle tempère son propos en ajoutant que les calmants permettent au patient de ne pas s’en rendre compte. Qui sait vraiment ? A chaque manifestation physique de sa mère qui le trouble, l’affole, le fait douter de l’absence totale de conscience, Quyên reçoit l’élément de langage officiel « Ce sont des gestes réflexes du corps ». Qui sait vraiment ? Enfin, au bout de 8 jours, un médecin, différent du premier, annonce que la dose de calmants va être augmentée pour « éviter les souffrances ». Incohérent, cruel, inhumain, incompréhensible...au fil des pages l’auteur interpelle le législateur.
En trois années de lutte et d’écriture pour sortir de l’abîme, Quyên Ngo-Dinh-Phu est plus serein, mais sa certitude est tout aussi ancrée : s’il n’y a plus aucun espoir de vie, il faut accepter la mort et faire en sorte qu’elle soit douce, soit l’euthanasie en grec ancien.
ACM
Publié en août 2022
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