Stéphane Velut - La mort hors la loi
C’est d'abord en médecin régulièrement conduit à affronter les questions de fin de vie qu’il réfléchit dans cet opuscule. Il a aussi discuté du sujet avec des philosophes et des essayistes.
Notons aussi qu’il a déjà publié, dans cette même collection (Tracts Gallimard) L’Hôpital, une nouvelle industrie, où il s’interrogeait sur la prise en compte du facteur humain dans le système hospitalier.
Son interrogation est fondamentale. Il l’a approfondie lors du vote de la proposition de loi d’Olivier Falorni donnant le droit à une fin de vie libre et choisie, le 8 avril 2021 à l’Assemblée nationale.
S’intéressant dans un premier temps à la terminologie, il constate que, dans la loi Claeys/Leonetti de 2016, le mot « mort » n’est jamais écrit. Comme, de plus en plus souvent dans les services hospitaliers, on va identifier des patients dans une chambre d’hôpital par la terminologie « C’est une fin de vie ! ». Tout comme il est difficile d’user du mot « euthanasie », alors que son étymologie devrait pourtant y inciter.
User du vocable « Fin de vie » met à l’écart, à distance, évite de regarder de face et en face la destination ultime de la personne elle-même. N’est-ce pas tout simplement le résultat de l’évolution, depuis quatre siècles, de la considération de la personne par la médecine : de la considération d’un être humain global, on a fractionné sa prise en compte : le corps « anatomique » décrit en détail par Vésale ; puis la psyché (les psy et la psychanalyse, la psychiatrie américaine qui aboutit dans le fameux Diagnostic and Statistical Manual – DSM – qui prétend classifier exactement toutes les affections neurologiques ou psychiques) et les « fonctions» ; éparpillement de la vision de l’humain qui interroge. Le médecin sera spécialiste de l’un ou de l’autre, et l’ensemble corps/ psyché/fonction devient une sorte de « bien » qu’il serait nécessaire de préserver, réparer, faire vivre le plus longtemps possible telle une machine. Le transhumanisme (tout organe est remplaçable) en est la version ultime. Cette manière de voir n’est–elle pas destructrice du soin nécessaire global requis pour une personne ? N’est–ce pas une façon assez simple d’évacuer la discussion et la définition de chacun de ce qui est sa vie et de ce qui pourrait devenir invivable ?
Parler ainsi du sujet en état végétatif pose question : de quel corps parle-t-on ? de quelles fonctions ? de quel mental ? et comment définir la vie dans ces cas de plus en plus nombreux de ces maladies dites neurodégénératives, grâce ou à cause de la prolongation de la vie ?
Les autorités législatives peuvent-elles réglementer tout cela ? Une constatation s’impose d’abord : la tendance depuis ces dernières années à étaler les éléments de vie qui auparavant relevaient de l’intimité. Raconter sa vie, exposer ses photos, diffuser des vidéos intimes, Facebook et autres réseaux dits sociaux n’ont fait que surfer sur cette vague montante en donnant les moyens techniques faciles d’étaler des moments qui restaient auparavant dans le secret. La mort et les conditions de l’agonie en font partie pour l’auteur.
Pourquoi donc l’Etat, le législateur, devraient s’emparer de ce type de sujet qui concerne si intimement chacune et chacun ? Evidemment, le législateur se pose au-dessus de ses concitoyens puisqu’il est censé écrire une loi d’application universelle. Est-ce possible dans le cas de la fin de vie ? ou n’est-ce pas justement cette impasse qui motive la grande réticence de tous les gouvernements à se lancer dans cette écriture (les projets de loi sont nombreux depuis Henri Caillavet en 1978).
Pourtant, d’autres pays l’ont fait, sans trop de difficultés d’application. En France, on a tenté d’approcher le sujet par petites touches, par lois successives (Leonetti 2005, modifications 2010, Claeys/Leonetti 2016), sans jamais aboutir à apporter des solutions satisfaisantes. Et nombre de cas sont rétifs à entrer dans le cadre.
D’où la question centrale de l’auteur : « avoir voulu rendre légal ce qui est légitime dans nombre de situations courantes fait courir le danger de laisser sans réponse les cas exceptionnels, sauf à trahir la loi ». Il est clair que l’auteur n’y est pas favorable, car, selon lui, nulle loi générale ne pourra apaiser toute la diversité des situations.
La solution ne serait-elle pas de « ne jamais dire des choses qui vont sans le dire » ?
Une bibliographie bien intéressante à regarder de près complète cette dissertation.
CB
Publié en octobre 2021 - 3€90
Editions Gallimard