Fin de vie : pour la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté
Qu’ont en commun Vincent Humbert, décédé le 26 septembre 2003, et Vincent Lambert, décédé le 11 juillet 2019 ?
Arrivés en fin de vie, ayant la volonté attestée de ne pas survivre dans les conditions de maintien artificiel dont ils faisaient l’objet, le suicide assisté ne leur était d’aucun secours, enfermés qu’ils étaient dans un corps inerte.
Qu’ont en commun Anne Bert, décédée le 2 octobre 2017, et Katherine Icardi-Lazareff, notre amie toujours combattante et témoignante ?
Atteintes de la maladie de Charcot, ayant fixé leurs propres limites dans l’évolution de cette maladie neurodégénérative qui paralyse les muscles les uns après les autres, jusqu’à atteindre les organes respiratoires (l’une, ne plus pouvoir faire sa toilette intime et s’alimenter seule ; l’autre, ne plus pouvoir parler), elles se sont tournées vers la Belgique pour les aider à trouver l’apaisement et la compassion dans leur parcours de fin de vie, puisque leur inaptitude physique était (est) incompatible avec la pratique du suicide assisté.
Rappelons au passage que la loi française du 2 février 2016, dite loi Leonetti, ne concerne pas les personnes atteintes de maladies neurodégénératives (les grandes oubliées !) et que Vincent Lambert a mis 9 jours à mourir, sédaté selon la loi de 2016, après avoir fait l’objet d’une première sédation, vaine, qui a duré 31 jours (du 10 avril au 11 mai 2013), aux termes de la loi Leonetti du 22 avril 2005 et du décret du 29 janvier 2010. 31 jours !
Si le modèle à la Française souhaité par le président de la République – après que les Citoyens réunis dans le cadre de la Convention citoyenne ont validé à près de 76 % la nécessité de légaliser l’aide active à mourir – devait se contenter du seul suicide assisté, il laissera de côté toutes celles et tous ceux qui, arrivés dans un état d’inaptitude physique interdisant tout geste d’autodélivrance, demandent à être aidés. De drames en drames, de cas médiatisés en cas médiatisés, il faudra de nouveau légiférer pour permettre à un tiers de pratiquer le geste de délivrance de fin de vie. Et l’on perdra encore du temps.
La directrice de l’une des associations suisses pratiquant le suicide assisté rapportait un jour le cas d’une personne, résidente suisse, atteinte d’un locked-in syndrome, qui avait demandé à finir sa vie. Son inaptitude physique lui interdisait tout geste. Il a fallu une rééducation de trois mois pour lui permettre finalement de lever un doigt pour le laisser lourdement retomber sur la petite tringle qui, alors, actionna la perfusion. Trois mois de souffrances pour accomplir un geste qu’un médecin aurait accompli, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Espagne, en quelques dizaines de secondes.
Pourtant, selon un sondage Medscape de juin 2020, 71 % des médecins français interrogés se sont prononcés pour autoriser l’euthanasie et le suicide médicalement assisté. Et selon le quotidien Libération, dans un article paru en mars dernier, les réanimateurs sont largement favorables à l’idée d’une aide active à mourir. Régulièrement, des manifestes sont publiés dans la presse, avec les signatures de nombreux médecins, pour demander l’ouverture de ce droit. Les Français sont prêts, les médecins sont prêts.
Pour finir, soulignons que la légalisation du suicide assisté et l’exclusion de l’euthanasie, outre de priver d’une délivrance compassionnelle les personnes inaptes physiquement à accomplir le geste, oblige les personnes qui veulent bénéficier d’une aide active à mourir à anticiper leur geste et à se priver de quelques semaines, de quelques mois de vie supplémentaires. En effet, anticipant la perte de leurs capacités physiques, elles font la démarche avant qu’il ne soit trop tard. C’est ce qu’exprimait l’actrice Maïa Simon au micro de RTL, en septembre 2007, 4 jours avant de mourir en Suisse d’un suicide assisté. Son cancer était incurable, ses douleurs devenaient insupportables, mais elle est partie avant de ne plus pouvoir faire le voyage et le geste ultime. Son pronostic vital n’était pourtant engagé que sous plusieurs mois.
L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité revendique une loi de liberté qui ouvre le champ des possibles : un accès véritablement universel aux soins palliatifs et la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Renoncer à l’une ou l’autre de ces trois possibilités, c’est l’assurance que le modèle à la Française sera un modèle une nouvelle fois raté, une page à réécrire.
Philippe Lohéac
Délégué général