TRIBUNE - Illégale, l’aide active à mourir est pourtant déjà une réalité en France, même si certains le nient. Sa légalisation permettrait de respecter la volonté des personnes en fin de vie, mais aussi de protéger les soignants qui la pratiquent, selon Philippe Lohéac, délégué général de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité.
FIN DE VIE - Le débat sur la légalisation de l’aide active à mourir est ouvert – de nouveau – depuis que le Conseil consultatif national d’éthique a rendu en septembre dernier un avis favorable au suicide assisté et, dans une moindre mesure, à l’euthanasie. Aujourd’hui, une Convention citoyenne, pilotée par le Conseil économique, social et environnemental, travaille sur le sujet avec, en ligne de mire, la meilleure prise en charge des patients en fin de vie et le respect de leur volonté ; il s’agit également d’assurer un cadre légal dans lequel les soignants volontaires pourront pratiquer l’aide active à mourir, sans être dans l’illégalité et sans se mettre en danger.
Aujourd’hui la fin de vie est régie par la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui prévoit la prise en charge des patients en situation de fin de vie. L’article 3 de cette loi prescrit qu’« à la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre » dans certains cas.
Cette sédation est déclenchée lorsque le pronostic vital du patient est engagé à court terme, c’est-à-dire « si le décès est proche, attendu dans les quelques heures ou quelques jours », selon les indications fournies dans le guide intitulé « Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? », publié en février 2018 et actualisé en janvier 2020 par la Haute Autorité de Santé (HAS).
Des doses au-delà de celles convenues dans les protocoles
Lorsque la sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès (SPCJD) est initiée, tous les traitements sont alors arrêtés, y compris l’alimentation et l’hydratation. Le décès – initialement attendu, donc, dans les quelques heures ou quelques jours – survient alors dans un délai qui ne peut pas (ne peut plus !) être prévu (page 7 du guide de la HAS), très souvent supérieur au délai initial.
L’espérance de vie du mourant est donc, de fait, prolongée, mais dans un état d’inconscience dont on ne revient pas et dont on ne sait pas s’il provoque des souffrances. Et ce que ne dit pas le guide de la HAS, mais que le professeur de médecine Jean-Louis Touraine rappelle inlassablement, c’est que la mort intervient généralement des suites de l’insuffisance rénale sévère provoquée par cette procédure ; le patient ne meurt pas de la maladie qui l’a conduit jusque-là, mais de cette nouvelle maladie dont il n’était pas atteint antérieurement.
De nombreux soignants, à l’écoute de leurs patients en fin de vie et plus que réservés quant à la pertinence de cette procédure (et sans doute, à son humanité), acceptent de prescrire cette sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, mais en augmentant les doses au-delà de celles convenues dans les protocoles, afin que le décès survienne rapidement, en quelques minutes, voire en quelques heures. Cela se passe dans les services de réanimation mais aussi dans les unités de soins palliatifs. C’est une réalité, même si certains la nient.
Des médecins qui prennent des risques
Ces médecins, en s’éloignant des prescriptions de la HAS et de l’esprit de la loi Leonetti, prennent un risque. Cette pratique les met en danger au regard de la Justice ; et au regard du conseil de l’Ordre des médecins, parfois plus sévère.
Cette situation – qui prouve que la loi actuelle n’est pas satisfaisante – légitime l’encadrement de l’aide active à mourir afin de fixer des règles claires à des pratiques qui provoquent une mort presque immédiate pour des patients arrivés à la fin de leur vie parce qu’ils sont en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable.
C’est la position de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, conformément à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au droit à la vie, reconnaît aux États de légaliser l’aide active à mourir pour encadrer des pratiques qui existent déjà, afin de protéger les soignants et de respecter la volonté des personnes en fin de vie.
Les aides actives à mourir clandestines, telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui en France, ne respectent ni les soignants, ni les patients.
PhL