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Loi belge, française en devenir, ma loi

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Publié le
12 mars 2025
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Texte paru dans la revue Pratiques n°107, Cahier de la médecine utopique - Dossier sur l'euthanasie et publié avec l'accord de la Publication et de l'auteur

Par le Dr Jacques Birgé, médecin généraliste en activité, membre de la commission Soignants de l'ADMD

 

Loi belge, française en devenir, ma loi


La loi belge, la proposition de l’ADMD, le projet de loi française : on s’y perd et aucun de ces textes ne me satisfait pleinement. Je formule donc, j’ose, des propositions personnelles pour aller au-delà de la déjà bien belle loi belge.

À l’heure où j’écris ces lignes (novembre 2024), personne ne peut connaître la loi qui s’appliquera en France puisque son examen a été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale et qu’elle devrait être débattue au parlement du 27 janvier au 3 février 2025. La population française est largement en faveur d’un droit à mourir dans la dignité (de très nombreux sondages d’opinion l’attestent, par exemple celui de l’IFOP de 2023 : 90 % des Français approuvent le recours à l’euthanasie et 85 % sont favorables au suicide assisté).
Entre ce projet de loi et d’autres lois ou projets, on s’y perd un peu. Je vais tenter ici de pointer les différences entre ces différents textes : le projet de loi français, la loi belge, le projet de l’ADMD et de proposer la loi de mes rêves.
Actuellement, en France, la loi Claeys-Leonetti de 2016 qui permet la sédation dite terminale, est méconnue de nombre de soignants et insuffisamment et parfois mal appliquée et je peux en témoigner : des sédations qui ne disent pas leur nom, des sédations qui se passent mal, qui durent parfois plusieurs semaines…
Tous les textes qui suivent insistent sur l’importance des soins palliatifs et sur la clause de conscience qui est instituée pour les professionnels de santé qui refuseraient de participer à la procédure d’aide à mourir. Ils devront renvoyer la personne vers un confrère.

La loi belge relative à l’euthanasie promulguée le 28 mai 2002

Il s’agit d’une loi dépénalisant de façon conditionnelle les médecins qui répondent à la demande du patient. Je considère que cette loi, avec un recul de plus de vingt ans, est le gold standard et constitue, presque, la perfection (voir ci-dessous), et je me demande pourquoi le parlement français ne s’est pas contenté d’un copié collé : quelles particularités en France par rapport à nos amis et voisins belges ?

Les conditions stipulées dans la loi belge sont les suivantes :
- Être conscient au moment de l’ultime demande.
- Avec une exception : la déclaration anticipée d’euthanasie si le patient est inconscient (mais pas s’il est dément).
- La demande doit être volontaire, réfléchie et réitérée, formulée indépendamment de toute pression extérieure.
- Le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue et doit faire état d’une souffrance insupportable, physique ou psychique.
- Le choix est laissé entre euthanasie et suicide assisté et 95 % des demandeurs choisissent l’euthanasie.
- Possibilité ouverte aux mineurs et malades mentaux (avec des modalités particulières).
- Un contrôle a posteriori par la commission d’évaluation et de contrôle.
- Le médecin « doit informer le patient de son état de santé et de son espérance de vie, se concerter avec le patient sur sa demande d’euthanasie et évoquer avec lui les possibilités thérapeutiques encore envisageables, ainsi que les possibilités qu’offrent les soins palliatifs et leurs conséquences. Il doit arriver, avec le patient, à la conviction qu’il n’y a aucune autre solution raisonnable dans la situation et que la demande du patient est entièrement volontaire ».
- Il doit, en outre, « consulter un autre médecin quant au caractère grave et incurable de l’affection en précisant les raisons de la consultation. Le médecin consulté prend connaissance du dossier médical, examine le patient et s’assure du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance physique et psychique. Il rédige un rapport concernant ses constatations ».

Après plus de vingt ans de recul, on observe que ce dispositif ne concerne que 2,5 % des décès.
Et pourtant, tout n‘est pas rose, même en Belgique, où les oppositions continuent de se manifester et l’ADMD belge poursuit son combat pour que la loi puisse être appliquée dans de bonnes conditions.

Le projet de loi français

Les députés ont débattu du projet de loi en première lecture jusqu'au 7 juin 2024 et le texte sera de nouveau examiné par l’Assemblée nationale. Le projet de loi prévoit notamment la création de maisons d'accompagnement pour les personnes en fin de vie et une aide à mourir pour les personnes atteintes d'une maladie incurable avec un pronostic vital engagé. Dans ce dernier cas, la personne devra être atteinte « d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. »
Ce projet de loi « à la française », est très en recul par rapport à la loi belge :
- Il privilégie le suicide assisté versus l’euthanasie, celle-ci devant rester l’exception. Une hypocrisie qui fait porter toute la responsabilité au patient, dédouanant ainsi les médecins du dernier soin à apporter à leur patient.
- Il introduit la notion discutable et délétère de pronostic vital : les députés ont voté pour qu’elle concerne plus largement les personnes atteintes d’une affection « grave et incurable en phase avancée ou terminale ».
- Il ne permet pas le recours à l’aide active à mourir aux mineurs et aux malades atteints d’une maladie psychiatrique.
- Les personnes qui pourront demander cette aide devront être
●    majeures ;
●    françaises ou résidents étrangers réguliers et stables en France ;
●    aptes à manifester leur volonté de façon libre et éclairée ;
●    victimes de souffrances réfractaires (qu'on ne peut pas soulager) ou insupportables.

Le projet de loi français est donc très différent et en deçà de la loi belge en introduisant la notion de pronostic vital (très aléatoire), alors que la loi belge ne parle que de souffrance insupportable sans notion de pronostic. La proposition de loi de l’ADMD est très proche de la loi belge.
 
La loi de mes rêves

Mais même la loi belge souffre, à mon avis, de deux faiblesses :
- Les personnes démentes sont exclues du dispositif puisqu’elles doivent être capables de discernement au dernier moment. Le créneau est donc étroit de la démence débutante avec la crainte de l’erreur diagnostique. Une solution envisageable est d’étendre la notion de déclaration anticipée d’euthanasie au patient dément qui aurait expressément demandé à bénéficier d’une euthanasie dans sa déclaration de directives anticipées et dans ce contexte.
- Le droit à L’interruption volontaire de vieillesse ou le droit à l’euthanasie en cas de « fatigue de vivre ». J’ai rencontré plusieurs patients qui en avaient assez de cette vie qui ne leur apportait plus de satisfactions. La solitude, la perte ou la limitation d’autonomie, la perte de l’entourage familial et amical lié au grand âge sont des motivations avancées pour demander une aide active à mourir actuellement accordée par aucune législation, à ma connaissance. Dans ces situations, le recours aux antidépresseurs et à la psychothérapie est inopérant dans mon expérience. L’interview d’Antoine Pinay, ex-Président du conseil (équivalent de Premier ministre sous la 4ᵉ République) et « sauveur du Franc » (comme de Gaulle avait sauvé la France dans l’imaginaire collectif) à l’occasion de ses cent ans, est à cet égard emblématique : « Si je n’étais pas croyant, je me suiciderais ». Et pourtant, il était en bonne santé, respecté de tous, riche. Il devra encore attendre ses 103 ans pour, enfin, mourir de sa « belle mort » ! Peut-on vraiment parler de « belle mort », de belle fin de vie ?

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A voir : Documentaire Bon voyage de Karine Birgé

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Soignants