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Non, la légalisation de l’euthanasie ne porte pas en elle, de manière systémique, des risques de dérives

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Publié le
25 janvier 2023
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A entendre les opposants à la loi de liberté plébiscitée par plus de 90% des Français, le risque de légaliser l’aide active à mourir porte sur les dérives qui, systématiquement et inévitablement, seraient constatées au bout de quelques années d’application de la loi : les conditions d’accès à ce dernier soin seraient considérablement assouplies au fil du temps, les profils des demandeurs seraient les plus élargis. Et les médecins – puisque ce sont eux qui consentent ou pas à la demande du patient et pratiquent l’euthanasie – pour libérer des lits, sous la pression des familles ou sans le moindre respect de ce que les Néerlandais appellent les critères de minuties, euthanasieraient toujours plus, suivant la fameuse courbe exponentielle du nombre d’aides actives à mourir que les anti-choix dénoncent sans cesse.

Ces arguments ne tiennent pas. Ils ne relèvent d’aucune réalité dans les nombreux pays qui ont déjà accordé à leurs citoyens le droit de disposer eux-mêmes de leur propre mort. Ils relèvent uniquement d’une dystopie, qu’à ce niveau nous sommes en droit de qualifier de mensonge.

D’abord, parce que dans notre République, la loi permet d’encadrer les pratiques. Ce sont les lois qui assurent le respect des droits de chacun, des libertés individuelles, qui fixent les limites. La loi assure l’égalité entre les citoyens d’un même pays. Et rien ne permet de craindre que le Parlement, représentant le peuple français et dont les travaux sont contrôlés au regard de leur conformité à notre Constitution par le Conseil constitutionnel, se laisserait aller à des excès en matière d’accès à une forme d’aide active à mourir – qu’il s’agisse de l’euthanasie ou du suicide assisté – qui ressemblerait à un permis génocidaire.

Rappelons à ce stade que la Cour européenne des droits de l’Homme, en application de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au droit à la vie, reconnaît aux Etats le droit de légaliser l’aide active à mourir pour encadrer des pratiques qui existent déjà mais se font sans contrôle, sans respect des patients et sans protection des médecins.

Certes, dans tous les domaines où des lois existent, des contrevenants existent également. Si nous prenons l’exemple quelque peu trivial du code de la route, des infractions ont été constatées dès l’instauration de règles de bonne conduite que certains oublient parfois : excès de vitesse, refus de priorité, refus de marquer le stop... Pas de règle, pas d’infraction ! Cela ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas auparavant ; mais sans cadre, rien ne permettait alors de les qualifier précisément d’infractions.

Nous pourrons compter sur la police et sur la justice pour faire respecter les règles fixées à la loi de légalisation de l’aide active à mourir par le Parlement. Les prisons accueilleront les réfractaires aux bonnes règles, c’est leur vocation.

Ensuite, bien sûr – et toujours sous réserve de conformité à la Constitution française – dans l’hypothèse où le législateur se laisserait aller à élargir, petit à petit, sans que cela ne se voit, les critères d’accès à l’aide active à mourir, jusqu’à atteindre un niveau dépassant la compassion à l’égard des personnes et fin de vie et la nécessaire humanité due à toute personne en souffrance, se poserait la question de la mise en œuvre de la loi.
Il faudrait alors que les médecins (qui se déclarent, rappelons-le au passage, favorables à 71% à la légalisation de l’euthanasie ou au suicide médicalement assisté – sondage Medscape, juin 2020) se transforment en euthanasieurs de masse et ne respectent plus ni le code de déontologie, ni la loi, ni même leur conscience.

En somme, parler de dérives systémiques à propos de la légalisation de l’euthanasie, revient à soupçonner les médecins de déviation progressive et incontrôlée dans l’application de la loi et dans l’exercice de leur art. C’est les accuser d’être des assassins en puissance alors que, dans le même temps, quelques associations militantes nous indiquent que le corps médical serait (ce qui est faux) opposé au droit légitime de chacun de ne plus souffrir lorsque son pronostic vital est engagé et de ne pas entrer dans la phase agonique que connaissent bien trop de fins de vie.

Ce n’est ni plus ni moins qu’une insulte à l’égard des soignants (auxquels la loi reconnaîtra une clause de conscience en la matière) et un soupçon qui est porté sur leur jugement et sur leur pratique.

Le débat sur la fin de vie, le nécessaire abandon du paradigme du « laisser mourir » instauré par la loi de 2016, l’ouverture d’un nouveau droit qui ne portera aucune obligation pour quiconque, méritent mieux que la dystopie poussée à son paroxysme, c’est-à-dire le mensonge, en insultant les patients trop âgés ou trop malades qui ne sauraient plus ce qu’ils disent, en insultant les médecins qui consentiraient sans discernement à des euthanasies illégitimes voire illégales, en insultant notre système démocratique qui générerait par essence de dangereuses déviations.

PhL

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