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Euthanasie : « Personne ne comprendrait que le sujet soit remis aux calendes grecques » - Le Point

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Publié le
12 juin 2018
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Une semaine après la remise de la synthèse du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les États généraux de la bioéthique, le député Jean-Louis Touraine tire les leçons de cette consultation nationale, qui s'est déroulée de janvier à fin avril. Pour le président du groupe d'études parlementaire sur la fin de vie, les députés devront rééquilibrer les résultats, car les débats ont pu être manipulés. Il salue le vent de liberté parmi les parlementaires et les invite à entendre l'« impatience dans la population » en faveur d'une nouvelle loi sur la fin de vie, tout en évitant de « coaliser les oppositions ».

 

Le Point : Vous avez suivi de près les États généraux de la bioéthique et pris connaissance de la synthèse établie par le CCNE. Quelles conclusions en avez-vous tirées ?

Jean-Louis Touraine : Il s'agissait d'une très bonne initiative. Le professeur Delfraissy, président du CCNE, a su élargir le périmètre des débats et mérite d'être salué. Cette consultation a réussi à faire l'objet d'une appropriation, parfois par des extrémistes, de tous bords. Certains ont manifesté une philosophie très combative, et des croyances très ancrées qui ont parfois occulté un peu le débat. J'ai entendu dire que certains prêtres enjoignaient à leurs fidèles en chaire de participer aux débats et leur dictaient presque ce qu'il fallait dire. Il faudra réinterpréter toutes ces données, et les rééquilibrer grâce aux sondages qui ont une valeur scientifique.

D'après le déroulement des débats, tous les sujets font-ils l'objet de positions irréconciliables ?

Les sujets n'ont pas tous suscité le même intérêt. L'usage des données, la médecine prédictive, la recherche sur l'embryon ou les transplantations sont pourtant d'une importance cruciale, mais ils ont moins mobilisé. L'euthanasie et la PMA ont focalisé l'attention, avec des teneurs très différentes. Les débats sur la PMA ont été très houleux, animés notamment par Sens commun, Alliance Vita, etc. Pour ces associations, ces débats étaient fortement symboliques, et donc objet de polémique et d'invectives. C'est comme si, pour elles, on rejouait des débats anciens… On avait l'impression qu'une secte voulait s'approprier le débat. Les discussions sur l'euthanasie ont été bien plus calmes, sans entrisme, avec des opinions très variées. Certains, soit parce qu'ils sont des professionnels de santé, soit parce qu'ils ont des croyances fortes, ont manifesté leurs réticences, mais dans un débat serein et rationnel. Dans le sondage qui est paru dans La Croix, 72 % des gens sont favorables au suicide assisté. Cela veut dire que les autorités religieuses sont encore réticentes, mais que les fidèles sont favorables à une évolution de la loi.

Quels enseignements tirer de ces États généraux pour l'avenir ?

Je crois notamment qu'il faudra faire plus attention au choix des personnes qui interviennent. J'ai assisté à des débats dans toute la France. Dans quelques villes comme Lyon et Paris, certains intervenants étaient membres d'Alliance Vita, ou autres associations très conservatrices, et il n'y avait pas de représentants de la libre pensée, des francs-maçons, bref, de ceux qui ne se retrouvent pas dans l'Opus Dei, pour caricaturer. Il faut que les indications soient un peu plus précises à l'avenir pour assurer la diversité d'expression. Quand on laisse à un tout petit groupe l'initiative, il peut avoir tendance à inviter ses amis.

Dans le sondage paru dans La Croix, 72 % des gens sont favorables au suicide assisté, ce qui veut dire que les fidèles sont favorables à une évolution de la loi.

Quelle valeur faudra-t-il accorder à ces contributions citoyennes ?

Par définition, ce comité est consultatif. Au même titre, le CESE a émis un avis sur la fin de vie, d'autres rapports doivent être rendus, et il y a de nombreux groupes d'études organisés à l'Assemblée nationale. Tous ces éléments vont produire une masse d'informations, mais aucune d'entre elles n'a une valeur décisionnelle. Elles seront les pièces multiples d'un dossier qui permettront d'éclairer le débat, et non pas de le conclure.

Comment, concrètement, la phase parlementaire se prépare-t-elle, notamment au sein du groupe d'études sur la fin de vie que vous présidez ?

Je n'ai pas choisi d'être président du groupe d'études parlementaire sur la fin de vie. Une majorité des députés a estimé que je pouvais assumer cette fonction, moyennant quoi, dans cette responsabilité, je fais très attention à assurer une pluralité totale et à entendre les arguments des uns et des autres, sans cacher mes opinions personnelles. C'est complètement utopique d'imaginer qu'il peut y avoir des gens compétents et qui n'ont pas d'avis. Ça n'existe pas. Néanmoins, avoir un avis ne veut pas dire qu'on décide à la place de tous.

Je vois, pour ma part, quelques manques qu'il faudrait combler, mais, bien sûr, il n'y a pas qu'une solution. Je suis très ouvert sur ces sujets que sont l'euthanasie et la fin de vie. Je crois qu'il faut entendre beaucoup, ne pas avoir d'a priori formels.

Peut-on parler d'un changement majeur de démarche par rapport aux précédentes révisions des lois de bioéthique ?

Je pense que nous allons vers un plus grand respect de la liberté parlementaire, ce qui est très positif car nous ne sommes pas dans des sujets techniques et dichotomiques. Pour la loi Claeys-Leonetti en 2016 (qui n'était pas une loi de bioéthique mais offre un élément de comparaison), il y a eu beaucoup de consultations, il y a eu le rapport Sicard, etc. Il n'empêche que l'impression a été donnée qu'il y avait un point de vue fortement demandé par l'exécutif. Si chaque député avait sa liberté de vote, il y avait une indication assez formelle. Or ce sont des sujets sur lesquels chacun a à s'exprimer en son âme et conscience. Ce qui est très intéressant aujourd'hui est que, dans tous les groupes politiques, il y a la palette de toutes les opinions. Il y a beaucoup plus de liberté, non encadrée.

En avril dernier, Xavier Breton et 55 députés LR ont demandé une mission d'information pour préparer la révision des lois de bioéthique, sans succès. Pourquoi ne pas la leur accorder ?

Ils ont réitéré le mois dernier cette demande sur les aspects plus juridiques de la bioéthique, sur la fin de vie, ainsi que sur des sujets de génétique. Le président de la commission a indiqué que les choses étaient organisées différemment, que tout le monde avait la possibilité de faire sa contribution en toute liberté et qu'il y avait, plus que dans le passé, des groupes d'études dans lesquels tous peuvent indiquer les personnes qu'ils souhaitent auditionner. Ces auditions, faites sans sélection, permettent d'entendre un état des lieux sur ces questions mais aussi de recueillir l'avis d'experts. En définitive, il s'agit d'une certaine mission d'information, mais pas sous la même forme que dans le passé.

Les parlementaires semblent-ils concernés par ces sujets de bioéthique ?

Oui. Et je dirais plus que dans le passé. Je crois que c'est, entre autres, grâce au grand renouvellement des parlementaires. Beaucoup d'entre eux sont plus proches des questions de société, ils sont des émanations de la société civile. Ils ont envie de répondre aux préoccupations de leurs concitoyens. Or ces derniers se montrent davantage attentifs à ces sujets qu'aux aspects économiques et techniques. Tout le monde est concerné par la fin de vie !

Je vois peut-être une deuxième raison : il y maintenant une quasi-égalité entre les hommes et les femmes au Parlement. C'est le cas dans mon groupe d'études, et je remarque que les femmes sont plus impliquées sur ces sujets, elles prennent davantage la parole, participent plus aux réunions… peut être parce qu'elles sont plus dans l'accompagnement concret de ces situations difficiles que regarde la bioéthique et se sentent ainsi plus concernées.

Dans tous les groupes politiques, il y a la palette de toutes les opinions. Il y a beaucoup plus de liberté.

 

Le président de la République a-t-il aujourd'hui un avis tranché sur la PMA, et sur la fin de vie ?

Le président de la République a donné son opinion sur la PMA, puisque c'était dans son programme présidentiel. Quant à la fin de vie, il a simplement dit à Laurence Ferrari en 2017 qu'il souhaitait choisir sa fin de vie, mais il n'a pas dit s'il souhaitait légiférer sur le sujet en France. Je pense qu'il n'a pas envie de s'impliquer outre mesure précocement sur ce sujet. D'une part, je crois, par respect pour l'expression des opinions diverses de nos concitoyens. Il sait que, derrière ce sujet, il y a des convictions, des croyances, et qu'il ne veut pas heurter les uns ou les autres ; il veut laisser le processus se développer d'une manière naturelle. Cela n'exclut pas qu'il puisse donner son opinion, mais il ne veut pas peser trop fortement. C'est peut-être aussi par habileté politique, pour ne pas radicaliser ses opposants. Sur des sujets comme la fin de vie, est-ce opportun de créer des clivages alors qu'ils n'existent pas ? Dans tous les groupes politiques, il y a des gens pour et des gens contre ! Ce n'est pas la peine de coaliser les oppositions.

Va-t-il devoir faire un compromis entre une nouvelle loi sur la PMA et une sur la fin de vie ?

Je pense que ce n'est pas l'un ou l'autre, fromage ou dessert, ce sont deux sujets différents. La PMA touche un certain nombre de Français, la fin de vie touche la totalité ! Vous imaginez bien que les gens concernés par la PMA ne peuvent pas penser qu'il faut la passer par pertes et profits. Concernant la fin de vie, je crois qu'il y a une impatience dans la population, beaucoup espèrent qu'il y aura une avancée très prochaine pour nous mettre au niveau de la plupart des pays similaires à la France. On peut se baser sur l'expérience des pays comme les États-Unis ou autres sur ce domaine, et on sait comment il faut encadrer les choses si on veut éviter les dérives. Je pense que personne ne comprendrait que ce sujet soit remis aux calendes grecques.

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