Mise dehors du service car elle ne voulait plus vivre - Libération
Depuis quelques mois, Fernande B. ne voulait plus vivre. On pouvait la comprendre : à 102 ans, elle ne voyait plus rien, entendait si mal et, depuis quelques semaines, était hospitalisée dans un service de long séjour à Paris. «Elle exprimait ce souhait clairement», raconte son fils, médecin généraliste. Bref, une demande bien normale.
Les difficultés qui s’en sont suivies autour de sa fin de vie ne constituent pas un scandale d’Etat mais, l’air de rien, montrent combien une telle situation reste difficile et bloquée en France. «C’était pourtant tout simple, répète son fils. Ma mère n’était pas seule, nous étions là, avec mes frères et sœurs. Elle avait toute sa tête. Avec mon père, elle avait travaillé dans l’usine familiale de poupées. Elle nous avait dit qu’elle ne voulait pas une fin de vie dégradante et indigne. Et comme j’étais le fils médecin, elle me l’avait fait promettre.»
«Il fallait que cela se termine»
Jusqu’à récemment, cela restait des mots lointains. Fernande allait bien. Ses dernières années, elle vivait dans une résidence de personnes âgées, gardant ses facultés intellectuelles. Mais depuis l’été, de nouveaux problèmes de santé lui ont valu d’être hospitalisée à Paris dans un service de long séjour. «Et là, elle nous l’a redit, qu’elle ne voulait plus de cette vie-là, il fallait que cela se termine.» Une demande claire, aux dires de tous les proches. Que faire ? «On savait bien que c’était interdit en France. Une de mes filles qui vit en Belgique s’est renseignée, a pris contact avec un médecin à Namur. C’était le 31 août. On a pris contact avec son équipe, puis la demande de ma mère a été validée par un collège de trois médecins. Ensuite, il y a un mois de délai.»
Voilà. Et très naturellement, comme un adieu qui se prépare, Fernande et ses enfants en ont parlé. Entre eux et dans le service où elle était hospitalisée. «Le chef de service n’a pas paru choqué, a même tout à fait compris», se souvient le fils de Fernande. Mais voilà, d’un coup tout s’est corsé. Le chef de service a adressé le SMS suivant à la famille : «Bonsoir, j’ai bien vu votre mère… Cet après-midi, nous avons eu la réunion avec le comité d’éthique, l’équipe est en difficulté par rapport au sens à donner à la prise en soins jusqu’à mi-octobre [date de l’euthanasie, ndlr]. Impossible de faire comme si de rien n’était. Il apparaît nécessaire de vous rencontrer, vous les enfants.»
Ne pas se sentir responsable
La rencontre a eu lieu. Et à la fin, le chef de service leur a expliqué qu’avant de partir en Belgique, il n’était pas possible que leur mère reste dans le service. L’argument : l’équipe ne voulait pas se sentir engagée dans une démarche d’euthanasie. «Nous étions sidérés, ahuris, explique le fils. Ce n’est pas eux qui allaient participer à l’euthanasie de notre mère, mais d’avance, comme une punition, ils la mettaient à la porte. Dehors, une vieille femme de 102 ans… Alors que leur travail est simplement de l’accompagner quelques jours avant.»
Se sentant peut-être mal, le chef de service se démène dès le lendemain pour trouver une place dans le service de soins palliatifs de l’hôpital, ledit service se montrant prêt à accueillir Fernande jusqu’à son départ à Namur. «Ma mère a bien sûr mal pris ce changement. Elle a dû y aller, et dans ce service, ils ont été très gentils.» Puis, le mercredi 10 octobre, c’est le départ. «En famille nous sommes allés à Namur. On a conduit notre mère à l’hôpital. Elle a confirmé son souhait, elle voulait que cela se passe le jour même, mais ce n’était pas la règle. Le lendemain, dans la matinée, entourée de nous tous, c’était un joli geste, elle s’est endormie d’abord, c’était ce qu’elle voulait.» Et il ajoute : «Je ne suis pas en colère, mais qu’y avait-il de choquant, au point de mettre ma mère hors du service ?»