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Tribune. Le choix en fin de vie appartient aux soignés et non aux soignants

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Publié le
15 mars 2023
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D'où vient ce sentiment étrange, ce malaise qu'ont éprouve certains lecteurs devant les trois pages du Figaro du 17 février 2023, consacrées au refus de l'euthanasie par des professionnels de santé ?
Non pas du fait que ce texte expose une opposition à l'aide active à mourir, un désir de ne pas entendre la demande itérative d' une dispense d'agonie par certaines victimes de maladies incurables, responsables de souffrances inapaisables. Non plus parce qu'il se situe, sans débat, dans une position ultra-minoritaire de la population, de la convention citoyenne et des élus.
 
Tous les points de vue doivent être entendus. Tous sont respectables : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
Le malaise vient de la sensation éprouvée par nombre de lecteurs. L'impression que ce texte venait d'un autre siècle, d'une période où il n'existait aucune démocratie sanitaire. où les droits du malade n'étaient pas reconnus et où seuls les soignants étaient habilités à décider du sort des signés. Au XXIe siècle par contre, le soigné n'est plus en position de soumission et le soignant n'impose plus son choix.

L'option d'un éventuel recours à une aide active à mourir n'incombe plus au médecin, comme cela a été le cas tout le siècle précédent, même si ce médecin est spécialisé en soins palliatifs. L'infirmier, formé aux pratiques avancées, ne peut lui non plus substituer son orientation personnelle à la décision libre du patient. Médecins et infirmiers sont en droit de faire respecter leur liberté de conscience, mais ils sont de moins en moins habilités à se mettre en travers du choix du malade en fin de vie.

En vérité, la question de l'assistance active à mourir n'est pas posée par le médecin. C'est le malade seul qui s'exprime puis, lorsque la loi l'autorisera et quand le médecin aura bien validé l'impasse thérapeutique et l'état de fin de vie accompagné de souffrance, la décision incombera au patient lui-même. Les soignants, je le répète, pourront faire valoir leur clause de conscience personnelle mais ne pourront pas s'opposer à la réalisation, éventuellement par un autre médecin, d'une décision relevant du malade.
 
Il y a un demi-siècle, nombre de professionnels de la santé et des sociétés savantes s'insurgeaient contre «l'avortement criminel » et militaient contre toute dépénalisation de l'IVG. Ils craignaient l'effondrement de notre société, ils annonçaient des catastrophes et criaient au viol du serment d'Hippocrate. Aujourd'hui, les mêmes groupes ou leurs successeurs, oublieux des leçons de l’histoire reprennent les armes pour une nouvelle croisade : la dénégation du droit de choisir sa fin de vie. Faut-il s'en étonner ? Non, car chaque droit nouveau est conquis face à la réticence compréhensible des traditionalistes. Faut-il faire appel à la raison de ceux-ci ? C'est probablement vain. « Lorsqu'une question soulève des opinions violemment contradictoires, on peut assurer qu'elle appartient au domaine de la croyance et non à celui de la connaissance. » D'ailleurs, y a-t-il une vérité absolue sur un tel sujet ? Est-il possible de réconcilier tous les points de vue les plus variés ?
« La vérité appartient à ceux qui la recherchent, non à ceux qui prétendent la détenir. » Acceptons la diversité 'analyses et de philosophies, puis laissons à chacun son libre arbitre.
 
Comme tous les médecins universitaires, j'ai un infini respect pour les sociétés savantes. Leurs apports sont d'une très grande utilité... dans leur domaine d'expertise. Choisir une attitude face à l'agonie n'est, par contre, pas de la compétence de spécialistes médicaux, mais appartient à la philosophie individuelle.

L'humanisme impose le respect de celle-ci. Je comprends que les convictions d'un soignant le tiennent à l'écart des gestes euthanasiques, comme elles ont dissuadé certains de pratiquer des IVG. Un confrère vient alors se substituer à eux auprès du malade. D'ailleurs le médecin réalisant une aide active à mourir ne donne pas la mort. C'est la maladie incurable qui est responsable du destin funeste.
 
Chantal Sébire, comme Anne Bert, l'avait très bien précisé : « II ne s'agit nullement de tuer, mais de poser un geste d'amour envers l'humain en souffrance en face de soi, d'accompagner vers le dernier cap. »
 
Soulager. Délivrer quelqu'un de ses maux inapaisables. Se mettre au service du malade et refuser l'attitude inverse, voilà la suprême noblesse des métiers du soin.
Accompagnons tous nos patients, en particulier ceux qui ne se résignent pas au mal-mourir français, qui aspirent à une mort sans souffrance. Une mort solidaire plutôt que solitaire.

Jean-Louis Touraine, professeur de médecine
 
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