Vincent Lambert : dix ans de déchirure - France Info
Depuis dix ans, ce Marnais est hospitalisé dans un état végétatif au CHU de Reims. Ses proches, déchirés par des valeurs contraires, ne s'accordent pas sur son sort, devenu un symbole du débat sur la fin de vie.
Les anniversaires défilent mais sa vie ne lui appartient plus. Depuis le 29 septembre 2008, jour où la voiture de Vincent Lambert, alors âgé de 32 ans, marié et père de famille, a percuté un arbre. Cet accident, survenu sur une petite route près de Châlons-en-Champagne, a laissé cet infirmier rémois cérébrolésé et tétraplégique. Cinq ans plus tard, le début de la bataille judiciaire autour de son maintien en vie le propulse sur le devant de la scène médiatique : son cas devient une affaire.
Au moment de la première tentative d'arrêt des soins en 2013, "les médecins ont arrêté la nutrition mais continué l'hydratation: c'était une erreur. S'ils n'avaient pas fait ça, il n'y aurait pas d'affaire Lambert, parce qu'il serait mort", confie à l'AFP Bernard Devalois, directeur du Centre de recherche bientraitance et fin de vie, relié au centre hospitalier de Pontoise (Val d'Oise). Outrés d'apprendre le traitement réservé à leur fils, ses parents obtiennent par décision de justice le rétablissement de l'alimentation, car aux yeux de Pierre et Viviane Lambert, catholiques proches des milieux intégristes, cette option est tout simplement inenvisageable.
La deuxième procédure d'arrêt des traitements, menée comme la précédente par le Dr Kariger en 2013, n'a jamais été mise en oeuvre, avortée par le manque de réactivité de l'hôpital et engloutie sous les recours juridiques, malgré les lésions cérébrales "irréversibles" pointées notamment par le Conseil d'État en 2014. Selon le Dr Devalois, l'administration du CHU de Reims n'a "pas brillé par un courage émérite" et gère le dossier "les deux pieds sur le frein", plaçant les médecins en première ligne.
"Ma hantise, c'est de finir comme un légume."
"Vincent m'avait dit : "Ma hantise, c'est de finir comme un légume." Il avait ce côté absolu, indépendant", avait confié son neveu François Lambert,
décidé à faire respecter, à l'instar de cinq frères et soeurs du patient et de son épouse Rachel, son refus d'un acharnement thérapeutique. Une volonté que son oncle n'a toutefois jamais écrite.
De Belgique où elle s'est réfugiée loin des soubresauts de l'affaire, sa femme et tutrice légale depuis 2017 vient à l'hôpital de Reims voir un mari pas tout à fait absent, pas vraiment présent non plus... C'est toute la complexité de l'état de conscience minimale.
Il reçoit parfois de curieuses visites comme celle, le 5 juin 2015, d'un membre de son comité de soutien, opposé à l'euthanasie, qui le filme pour prouver sa supposée capacité à déglutir ou à suivre des yeux un interlocuteur. "On va te faire sortir de là, c'est injuste", lui dit alors au téléphone sa mère, qui écrira plus tard en 2018, dans une lettre ouverte au président Emmanuel Macron, sa crainte que son fils "handicapé" mais "vivant" puisse être "sacrifié pour faire un exemple". Cette vidéo qui expose l'intimité d'un homme sur son lit d'hôpital totalise à ce jour plus de 700.000 vues. D'après les avocats des parents devant les tribunaux, il faudrait que Vincent Lambert soit transféré dans une unité spécialisée, qu'il soit rééduqué et qu'il ait une "vie sociale" car il aurait montré des "progrès", sources "d'évolutions majeures".
Pris au piège
Le cas Lambert, symbole malgré lui du débat sur la fin de vie, fédère un agglomérat de "la catho-fachosphère, qui n'est pas l'église catholique, mais un mouvement intégriste doté d'une puissance sur les réseaux sociaux", estime M. Devalois, soulignant que "dans un Etat de droit", on assiste à "l'acharnement juridique extrêmement intelligent de la part des pro-life".
De recours en référés, cette partie s'appuie sur l'arsenal juridique à sa disposition et, même après l'échec d'obtenir la tutelle ou le refus de pouvoir transférer le patient vers un autre établissement, n'abdique jamais.
Depuis dix ans, l'hôpital est le purgatoire de Vincent Lambert, pris au piège dans ce "corps souffrant", selon son médecin du CHU, le Dr Vincent Sanchez. Se réveiller et s'endormir, cligner des yeux, émettre quelques sons, déglutir : est-ce cela, vivre ? Au terme d'une nouvelle procédure collégiale (la quatrième en cinq ans) celui-ci a décidé que non : le 9 avril, le Dr Sanchez conclut à l'arrêt des soins, comme le prévoit la loi Claeys-Leonetti, en vertu de "l'obstination déraisonnable" faite au patient, selon ses observations.
Pourtant, une nouvelle expertise a été demandée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi par les parents. La valse des experts (nomination, désistement, re-nomination) pour la réaliser a repoussé la remise du rapport, attendu fin octobre.