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Choisir sa mort : un combat pour la dignité

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Publié le
10 mai 2021
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L’Assemblée nationale a offert le 8 avril un visage en clair-obscur. Evidemment, la proposition de loi déposée par les députés Olivier Falorni, Sylvia Pinel, Jeanine Dubié et Stéphane Claireaux donnant le droit à une fin de vie libre et choisie n’a pas été adoptée, du fait d’une obstruction conservatrice assumée, tant et si bien qu’à force d’amendements caricaturaux, le texte est redevenu poussière, à minuit, comme dans les contes de Perrault et des frères Grimm. Ces barricades procédurales ainsi dressées ne font pas vraiment honneur au débat démocratique. Elles sont l’arme des faibles, de ceux qui, cernés et vaincus, sont réduits à de mauvais réflexes obsidionaux.

 Pourtant, cette poussière aura été, comme toujours, fertile, et de la discussion parlementaire a jailli la lumière, celle de représentants de la nation qui pour la première fois majoritairement ont choisi la direction du droit de mourir dans la dignité en adoptant les premières dispositions d’un texte historique.

 Cet épisode, qui fera date, nous rappelle que la République a toujours rempli ses devoirs envers l’Humanité à la faveur d’un combat exigeant, permanent et âpre pour la dignité. La République, c’est la dignité des citoyens contre l’absolutisme et un ordre social fondé sur les inégalités. La République, c’est la dignité retrouvée des esclaves affranchis par Schoelcher. La République, c’est la dignité de toutes les consciences garantie par la laïcité de 1905. La République, c’est la dignité des femmes garantie par le droit au suffrage en 1944 et le droit de disposer de leur corps en 1975. La République, c’est la dignité de la justice qui depuis 1981 a cessé d’être, pour reprendre les mots célèbres de Robert Badinter, « une justice qui tue ». La République, c’est la dignité des homosexuels à disposer du droit de bénéficier des mêmes droits civils, à égalité. La République, aujourd’hui, ce doit être la dignité des malades à pouvoir choisir, en conscience et librement, la possibilité d’éteindre la lumière quand l’existence est devenue une survie insurmontable.

Offrir ce droit, contrairement aux imputations mensongères des opposants à ce texte, n’enlève rien, à personne, pas plus que la loi Veil n’a retiré aux femmes le droit de poursuivre leur grossesse, pas plus que la loi Taubira n’a enlevé quoi que ce soit aux couples hétérosexuels. Créer un droit ne retranche rien à ceux qui ne veulent pas en bénéficier. Mais ce droit nouveau est un pas dans la liberté, pour chacun, de choisir le sens qu’il veut donner à sa vie et in fine, à sa mort.

 Toutes ces batailles, à chaque fois, ont été gagnées quand les représentants de la Nation ont été capables de débattre, de dépasser leurs appartenances et de construire un édifice commun en se libérant des contingences partisanes. Cette capacité a manqué à l’opposition de droite et en dépit de députés courageux, mais pas assez nombreux, qui se sont affranchis des tutelles et des assignations. En 1975, la loi sur l’interruption volontaire de grossesse n’aurait pas été adoptée sans la gauche. En 1981, l’abolition de la peine de mort a gagné en acceptabilité dans un pays hostile grâce aux voix venues du RPR, autour de Jacques Chirac et de Philippe Séguin et de l’UDF, autour de Jacques Barrot et de Bernard Stasi.

 Toutes ces batailles, tant qu’elles ne sont pas livrées, font toujours perdurer des situations qui soulèvent le coeur et reproduisent les pires inégalités sociales. Ce sont les femmes qui avaient les moyens qui, avant la loi Veil, prenaient la route de nos pays voisins, pour aller à grands frais se faire avorter à l’étranger. Aujourd’hui, la mort a un prix : 10 000 euros en moyenne pour aller en Suisse accéder à un droit que la France refuse toujours. Attaché au progrès autant qu’à l’égalité et à la liberté, je refuse de me résoudre à observer sans rien faire le spectacle dégradant de ce commerce macabre et de cette fuite des malades qui vont s’acheter ailleurs la dignité qu’on leur refuse ici, en France.

 Le 8 avril, l’Assemblée nationale n’a pas encore adopté, selon la formule consacrée. Mais le chemin est tracé et rien, absolument rien, ne pourra faire reculer la détermination de ceux qui portent cette question depuis des années, dans un pays où à une large majorité, l’opinion appelle que notre droit, enfin, soit conforme à nos principes : ceux des Lumières.

 Stéphane Nivet