Loi sur la fin de vie. "Monsieur Macron, je fais appel à votre humanité et à votre courage..."
Je suis paraplégique depuis trois ans suite à une opération en urgence pour dissection aortique. Ma paralysie s'accompagne d'une atteinte grave des fonctions intestinale et urinaire et de douleurs neurologiques qu'aucun traitement n'a réussi à diminuer. De plus en plus, les douleurs affectent ma lucidité et je me demande combien de temps je pourrai le supporter.
Aucun espoir d'amélioration n'existe pour moi.
Je suis remarquablement bien entourée : par mon mari toute l'année, enfants et petits-enfants, famille, voisins et amis. Je bénéficie aussi deux à trois fois par jour, de soins à domicile.
Je suis depuis 1982, membre de l'ADMD, Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité. J'avais rédigé des DA (Directives Anticipées) consultables sur le registre de l'ADMD mais les chirurgiens, par ignorance me semble-t-il, n'en ont pas tenu compte. Au moment où l'équipe chirurgicale a fait le bilan de mon opération, je suis restée muette mais en conclusion, un membre de l'équipe s'est tourné vers moi en disant : « Madame Bergeron trouve que nous avons fait preuve d'acharnement thérapeutique.». A quoi j'ai répondu : « C'est exact. »
J'en avais parlé à l'équipe des soignants et en particulier après avoir tenté de débrancher tous les appareils auxquels j'étais reliée.
J'ai entendu, Monsieur Macron, vos prises de position sur la fin de vie et la loi Leonetti.
En quoi mon cas est-il en rapport avec l'assistance que peut apporter la loi Leonetti à des malades en fin de vie?
On ne répond pas davantage à des malades atteints de la maladie de Charcot. L'une d'elles, qui en a fait état sur le site internet de l'ADMD, a réussi à se faire admettre en Belgique pour un suicide accompagné. Un Anglais, lui aussi atteint de la maladie de Charcot, envisageait il y a quelques mois de porter plainte contre son pays auprès des instances européennes de justice.
J'ai la grande chance d'habiter dans un pays laïc. Or, j'ai le grand désagrément de constater que cette laïcité n'est qu'apparente puisqu'au nom d'un respect de la vie à tout prix, certains s'opposent à la demande d'un suicide accompagné (ou médicalisé) pour les personnes en grande souffrance physique / morale, ou psychologique. Comment peut-on accepter dans un Etat laïc, que des gens, au nom de leur propre croyance religieuse ou choix philosophique, s'arrogent le droit d'interdire aux autres la possibilité d'une fin de vie plus humaine? Notre demande de suicide accompagné n'entache en rien la liberté des autres. La Suisse, la Belgique, proches de nous, montrent que le problème n'est pas insoluble, mais elles ne pourront continuer longtemps à être le mouroir de l'Europe, comme on me l'a dit.
Vous ne pouvez ignorer Monsieur Macron, que seules des personnes qui ont un certain niveau de ressources, peuvent se permettre d'aller mourir en Suisse, en Belgique etc.
Certains malades (et c'est mon cas) ne sont plus en mesure de faire le trajet (deux déplacements nécessaires).
Monsieur Hollande avait promis de s'intéresser à cette question. Il n'a rien réglé.
Les oppositions à notre demande sont d'autant plus incompréhensibles que notre survie revient plus cher que ne coûterait notre départ si on nous l'accordait. De plus, beaucoup de personnes selon des statistiques données par l'ADMD, se déclarent favorables à cette demande d'ultime liberté (plus de 90 %). Les médecins qui déclarent ne rencontrer que des patients qui veulent vivre à tout prix, se leurrent.
J'ai lu sur le conseil de l'ADMD, le livre paru en 2007 de Monsieur Antonowitz avocat au barreau de Grenoble, intitulé Fin de vie, préface de Michel Rocart. A la question : « La législation actuelle porte-t-elle une part de responsabilité dans le suicide des personnes en fin de vie ? » Il répond : « Sait-on qu'une cinquantaine de cancéreux en fin de vie se défenestrent à l'hôpital chaque année ? » (cf déposition de Madame Lagrée devant la mission Leonetti) que sur les 12000 suicides annuellement recensés en France, 3 à 4000 concernent les personnes âgées de plus de 65 ans ? Que plus l'âge avance et plus le taux de suicides s'accroît ? Et de citer ensuite « les moyens utilisés pour y parvenir », pour finir par citer le suicide de Gilles Deleuze, Bernard Buffet etc...
Monsieur Macron, je fais appel à votre humanité et à votre courage. J'ai été professeur de lettres et je songe avec nostalgie aux périodes où la France a été le phare de l'humanité, l'époque de Voltaire, Montesquieu, Rousseau ; l'époque des Droits de l'Homme, de Zola, de Lucien Neuwirth et de Simone Weil pour les droits des femmes etc...
En France, combien de temps devrons-nous attendre ? Sachez, Monsieur Macron, que lorsque l'on sait que l'on peut choisir le moment de partir, on peut se permettre de différer autant que possible.
Merci, Monsieur Macron, de ne pas nous oublier.
Veuillez recevoir Monsieur le Président de la République, l'expression de mes bons sentiments.
Au vu de mes certificats médicaux, j'ai obtenu de la Suisse le droit à une MVA (Mort Volontaire Accompagnée). Le voyage sera pour moi une rude épreuve, compliquée pour mes proches et moi-même par la grave maladie dont mon mari souffre depuis quelques semaines.
J'espère que le temps ne sera pas trop long avant qu'une loi d'humanité sur la fin de vie soit votée, qui permette à ceux qui le demandent de partir paisiblement.
Nuri Bergeron
Depuis la publication de ce témoignage, Nuri Gergeron, nous a quittés.