Quand la mort saisit la vie - Réflexions philosopho-maçonniques
Quand la mort saisit la vie
Réflexions philosopho-maçonniques
La question du Droit de Mourir dans la Dignité et de l’Aide Active à Mourir entraine des débats passionnés, car on est là au cœur de la question du choix entre le Destin et la Destinée de l’être humain. Rappelons que le Destin est le produit de quelque chose d’imposé de l’extérieur par une puissance supérieure ou par des contingences extrahumaines. La Destinée est, par contre, le chemin que se choisit librement l’être humain. C’est le même rapport qu’entre le Rêve et la Rêverie. Le Rêve est imposé par votre cerveau qui fait l’école buissonnière, mais c’est vous qui guidez votre Rêverie selon vos envies.
Dans le remarquable ouvrage réalisé par l’ADMD « 20 Contributions pour mieux comprendre », on peut lire ceci : « Comme le faisait justement remarquer Voltaire : lorsqu’une question soulève des opinions violement contradictoires, on peut assurer qu’elle appartient au domaine de la croyance et non à celui de la connaissance ». Croire ou penser, telle est la question.
L’être humain ne choisit pas de naître, il choisit rarement ou si peu sa vie, paradoxalement son seul choix d’être libre est peut-être de choisir comment il veut mourir. C’est même en décidant de cela qu’il accomplit et maitrise d’une certaine façon sa vie, au moins à un moment de celle-ci. C’est pourquoi ce paradoxe, car c’en est un, est une véritable liberté démocratique à conquérir.
Albert Pike, Très Puissant Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de la Juridiction-Sud du Rite Ecossais Ancien et Accepté des Etats-Unis, le père de tous les Suprêmes Conseils maçonniques du Monde écrivait : « La mort nous apprend le Devoir, à bien jouer son rôle, à accomplir la tâche qui nous est assignée. Quand on meurt, et après sa mort, il n’y a qu’une seule question : A-t-il bien vécu ? Il n’y a pas d’autres mal dans la mort que celui que fait la vie ».
On sait qu’il n’y a pas de vie sans mort et vice-versa. Les deux sont paradoxalement liées, l’une fonde l’autre, l’autre accomplit l’une. On sait qu’Eros et Thanatos sont liés. N’est–ce pas le Cantique des Cantiques (8,6) qui dit : « L’amour est fort comme la mort » ? Dans Le divan occidental-oriental, dernier recueil poétique majeur composé par Johann Wolfgang von Goethe, on peut lire cet aphorisme : « Meurs et deviens ! ». Ce qui était une sorte de reprise de qu’Homère fait dire à Ménélas par Agamemnon : « Si tu viens à mourir et que tu accomplisses le destin de ta vie. »
Points de vues initiatiques, revue de la Grande Loge de France notait dans un numéro de 2023 : « L’attitude face à la mort a, elle aussi, changé du tout au tout à l’aube du troisième millénaire. Longtemps indissociable de la vie, (Le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu‘un écrivait Epicure à Menecée), la mort s’est au fil du temps éloignée et, pour ainsi dire, désincarnée jusqu’à devenir, pour beaucoup, une pure abstraction. »
La mort étant devenue pour beaucoup une abstraction, au moins pendant une période assez longue de la vie, que reste-t-il ? PDVI poursuit : « Il faut donc vivre, non comme un hédoniste débridé –pléonasme ? -, mais selon un bien vivre, un mieux vivre, un vivre le Bien – positivité génératrice de valeurs -, vécu comme un horizon permettant à l’être humain de passer de la vie matérielle – certes nécessaire, mais ni suffisante, ni comme but ultime – à l’existence spirituelle et à la recherche de la paix intérieure capable de gérer l’altérité du réel et la perspective du désirable. Comment ne pas évoquer cette définition lapidaire, mais pertinente : la Franc-Maçonnerie permet de passer de l’avoir à l’être, de mourir au paraître, pour naitre de l’être. »
Dans la Raison de Juillet-Aout 2023, Benoît Schneckenburger cite Julien Offroy de La Mettrie « « Jouissons du peu de moments qui nous restent, buvons, chantons, aimons qui nous aime ; que les jeux et les ris suivent nos pas, que toutes les voluptés viennent tour à tour tantôt amuser, tantôt enchanter nos âmes »… « Quand on a su profiter de tous les heureux moments, cueillir toutes les fleurs semées sur le fonds de la vie, c'était la peine de naître, de vivre et de mourir. »
Le bien mourir appelle le mieux vivre, c’est pour cela que le refus de la déchéance et de la souffrance par le Droit De Mourir dans la Dignité, notamment par l’Aide Active à Mourir est fondamentalement un message progressiste et une liberté démocratique à conquérir.
Cette approche nous permet de nous élever face à la mort. André Comte-Sponville dans « Pensées sur la mort » note : « Ainsi celui de tous les maux qui nous donnent le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe, ni pour les vivants, ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. »
Montaigne quant à lui avait ouvert le chemin : « Mourir est un destin qui ne doit pas nous inquiéter, il viendra lorsqu’il viendra. Il faut plutôt se préoccuper de vivre, et cela est philosophie : puisque notre temps est court et incertain, vivons chaque jour comme s’il était le dernier, remplissons notre vie d’action et de voluptés, dont la vertu ets la meilleure. Ainsi vivrons-nous en sage, et mourrons de même. »
La sagesse humaine nous amène à ne pas nous préoccuper de la religion, même si elle a trop tendance à vouloir s’occuper de nous et à régenter nos corps et nos consciences. Faut-il vivre en craignant le « Châtiment éternel » ? Avez-vous remarqué que, selon les « saintes Ecritures », les paradis sont des lieux sans désirs et les enfers des lieux où les désirs sont présents sans jamais être satisfaits ?
Alors prenons les désirs et les plaisirs de la vie à pleines mains pour ne se poser que la seule question qui vaille : Alors, avant la mort, la plus digne possible, si on vivait et le mieux possible ?
Christian Eyschen
Secrétaire général de La Libre Pensée