Covid-19 dans les Ehpad : "Il n’y a pas d’âge pour mourir dans la dignité" - France 24
Dans les Ehpad, les personnes âgées sont isolées de manière stricte pour limiter les risques de contamination par le Covid-19 et vont le rester au-delà du 11 mai.
"À toutes ces personnes, et notamment soignants, qui bravent les directives gouvernementales pour permettre aux familles de dire au revoir à leur proche, quand cela est possible. À tous ceux qui font preuve de bon sens en se disant qu'en équipant correctement le visiteur, le risque pour chacun est réduit, permettant ainsi de respecter ce droit humain de ne pas laisser mourir ses proches isolés et abandonnés. À tout ceux qui font preuve d'humanité. Merci."
Virginie Verlyndes a posté ce message sur sa page Facebook le 9 avril. Un jour de tristesse et de colère. Un jour de reconnaissance aussi, pour ceux qui ont permis à sa grand-mère de ne pas mourir seule malgré les mesures de confinement. Simone Verlyndes est morte le 9 avril 2020, à l’âge de 99 ans. "On voulait lui faire une belle fête pour ses 100 ans", raconte à France 24 sa petite fille de 38 ans, professeure de biologie. Mais la vieille dame n’aura pas tenu jusque-là.
Pensionnaire d’un Ehpad du 14e arrondissement de Paris depuis plus de sept ans, Simone est décédée dans l’hôpital parisien où elle avait été transférée en urgence quelques heures auparavant. Elle était non seulement positive au Covid-19 mais souffrait d’une occlusion intestinale, décelée trop tardivement selon la famille. "Cela faisait plusieurs jours qu’on sentait que ma grand-mère n’allait pas bien. Ma mère s’en est rendu compte par téléphone, elle l’entendait à sa voix. Mais on n’a jamais eu le droit de lui rendre visite", raconte Virginie.
Pour limiter au maximum le risque de contamination, des mesures d’isolement strictes ont été prises dans les Ehpad : les visites des proches ont tout d’abord été limitées, puis interdites à la mi-mars. Puis fin mars, face à la propagation rapide du virus, Olivier Véran a durci les règles en conseillant l’isolement individuel de chaque résident dans les chambres.
De la difficulté de faire son deuil
Ces mesures visent à limiter les contacts et donc les risques de contagion pour ces personnes particulièrement vulnérables. Depuis le début de l’épidémie en France, plus de 6 500 personnes sont mortes en France dans les établissements médicaux sociaux, dont les Ehpad, des suites du coronavirus.
Mais l’isolement des aînés, plus particulièrement dans leurs derniers instants, est difficilement supportable pour les concernés comme pour leurs proches, surtout en cas de décès. "Au téléphone, ma grand-mère n'arrêtait pas de répéter : ‘Je suis toute seule, je vois personne, je vais crever toute seule’", témoigne Virginie. "Pour ma mère, c’était atroce".
Les psychiatres et gérontologues tirent la sonnette d’alarme. On ne peut pas faire son deuil si on n'a pas accompagné son proche à la fin de sa vie, a expliqué sur France Inter le psychiatre Serge Hefez, qui a lui-même perdu sa mère dans un Ehpad en temps de confinement. "Toute la noblesse et la dignité en fin de vie d'un proche est de les accompagner, leur tenir la main, les rassurer, être près d’eux pour ce passage de la vie à la mort et pourtant beaucoup en sont privés. On perd notre humanité, on entre dans une espèce de barbarie en étant dans un hygiénisme trop protecteur alors même que la mort fait partie du rythme de la vie", estime Serge Hefez.
Des appels qui semblent avoir été entendus par le chef de l’État. Dans son discours du 13 avril consacré à la crise sanitaire actuelle, Emmanuel Macron a annoncé au sujet des personnes en fin de vie : "Je souhaite que les hôpitaux et les maisons de retraite puissent permettre d’organiser pour les plus proches, avec les bonnes protections, la visite aux malades en fin de vie, afin de pouvoir leur dire adieu".
"Il n’y a pas d’âge pour mourir dans la dignité"
"Dire adieu à son vieux, ça change tout", confirme Virginie Verlyndes. Grâce à la compréhension d’un médecin qui "a accepté de déroger aux règles par humanité", selon Virginie, Simone a pu recevoir la visite de sa fille dans ses derniers moments. "Ma mère (Laurence) a fait le forcing pour la voir. Un médecin a entendu sa détresse et l’a laissée venir malgré les interdictions".
Le personnel a équipé Laurence d’un masque, d’une blouse, de gants et l’a laissée passer une demi-heure au chevet de sa mère, mourante. "Ma mère a pu lui prendre la main même si le médecin ne voulait pas qu’elle le fasse. Elle a pu lui demander d’ouvrir les yeux, lui parler une dernière fois, prendre une photo pour nous tous. Et surtout, lui dire au revoir".
Deux heures après le départ de sa fille, Simone mourait à l’hôpital. "Le fait d’avoir pu voir sa mère, d’avoir pu lui parler, la toucher, lui dire qu’elle était là, ça a tout changé. Pour elle et pour nous, les petits enfants", explique Virginie. "Je suis biologiste et je comprends tout à fait le phénomène de sélection naturelle. Ma grand-mère avait 99 ans, c’est un bel âge pour mourir. Mais il n’y a pas d’âge pour mourir dans la dignité".