En Belgique, on enregistre 2 000 à 2 300 demandes d'euthanasie par an. Yves de Locht explique comment "le concret de ce que nous vivons en tant que médecin acceptant de pratiquer une euthanasie sur des personnes qui en ont fait la demande, est plus explicite que les grandes théories." A titre d'exemple, Yves de Locht mentionne le cas d'une patiente de 50 ans, reçue fin novembre 2016, atteinte de la maladie de Charcot, maladie dégénérative, progressive et mortelle. Cette patiente présentait des troubles de la parole et des douleurs, avec un cerveau qui continuait de marchait toujours aussi bien. Elle possédait un ordinateur qui s'exécute en suivant le mouvement de la pupille. "Elle venait pour ouvrir un dossier en vue d'une éventuelle euthanasie. A ce jour, je n'ai plus d’elle. Elle est rentrée chez elle rassurée." C'est cela dont elle avait besoin.
Un autre patient âgé de 56 ans, venant de l'Isère, et atteint de la même maladie, ne communiquait plus que par le mouvement des yeux. Ne supportant plus de vivre ainsi, il a demandé une fin de vie. Un homme de 28 ans, de Bordeaux, atteint d'une maladie grave est venu demander la possibilité d'une future euthanasie que nous avons acceptée. Sa réaction a été de dire paradoxalement "vous m'avez sauvé la vie". Ce qui veut dire que l'euthanasie est plus un message de vie que de mort.
Claire Bazin, déléguée départementale 22 de l'ADMD, rappelle que certains malades décident de se rendre en Belgique, car la loi Leonetti, votée pour la première fois en 2005, "ne donne toujours pas au patient la possibilité de choisir. Cette loi profite plus aux médecins. Le respect et la volonté du patient n’est pas prioritaire." En France, c'est le médecin qui prend la décision d'endormir le patient et de pratiquer une sédation terminale. Ce qui revient à une forme d'euthanasie, mais pendant laquelle le patient souffre. Un processus très différent de celui qui se pratique en Belgique, où l'euthanasie se pratique à l'hôpital comme à domicile. Elle permet au patient et à sa demande de soulager les douleurs insupportables. "Il s'agit d'un contrat moral. Je rassure le patient. Les patients sont rassurés et savent qu'ils peuvent compter sur moi."
La loi belge a été votée en 2002, profitant d'un créneau où les catholiques étaient moins influents auprès du gouvernement. Il a fallu seulement 2 ans pour la faire passer, alors qu'il y a 35 ans que les défenseurs de l'euthanasie essaient en vain de la faire passer en France.
C'est au malade d'évaluer ses souffrances, et non pas au médecin qui n'est pas dans la peau du malade. "Les souffrances psychiques sont souvent plus dures que les physique, comme l'incontinence, la dépendance, le regard des autres, la solitude... Des témoignages face auxquels on se sent impuissant", témoigne Yves de Locht.
Une formation aux soins de fin de vie est assurée en Belgique, et dure un an. On y apprend comment écouter un malade et comment dialoguer avec lui. On apprend à répondre à la question : "que faire pour que le patient dont je suis en charge, puisse finir au mieux sa fin de vie " ?
L'objectif est que les médecins soient à l'écoute de leur patient. Yves de Locht note une plainte fréquente chez les français : "les médecins ne prennent plus le temps d'écouter leur patient." Yves de Locht insiste sur le fait que "la formation est très importante pour que soient respectées les conditions de la loi. D'abord la condition fondamentale : que la demande émane du patient et de lui seul. Que cette demande soit écrite, datée et signée par le patient. Le patient doit être atteint d'une affection grave et incurable, et être atteint de souffrances physiques ou psychiques intolérables pour lui.
Déroulement de l'acte
Une fois que le médecin a donné son accord, l'avis de deux autres médecins vient confirmer l'accord. Après confirmation du patient par deux fois, le médecin achète lui-même le produit létal à la pharmacie, procède à l'acte en compagnie d'un autre médecin, puis rédige et envoie un rapport de plusieurs pages à la commission de contrôle.
Yves de Locht explique que "la nouvelle de l'annonce de la maladie et de son évolution, est vécue par la patient comme un cataclysme. Avec l'apparition des symptômes, l'épreuve des examens, l'attente des résultats, l'inquiétude et l'angoisse du patient croissent. Son physique, son rythme de vie changent. La solitude est parfois extrême. La phrase courante est "personne ne peut me comprendre".
Le médecin belge témoigne que : "l'euthanasie est l'acte le plus fort que je pratique depuis que je suis médecin. Je demande à rencontrer tout le monde dans les familles, dont les opposants. La rencontre avec les proches quel que soit leur opinion, le dialogue, sont une étape fondamentale. Cela donne l'occasion de grandes réunions familiales. Le médecin est serein parce qu'il a rempli son contrat. La famille, les témoins, la personne de confiance pleurent. Il arrive que le médecin aussi, mais en est serein. Souvent, le mort part avec le sourire."
Yves de Locht espère pouvoir venir un jour "partager mon expérience officiellement en France".
Echange avec le public.
« Comment procédez-vous précisément à un suicide assisté ? »
Yves de Locht : « Deux possibilités. Soit le médecin prépare les médicaments et le patient les prend lui-même. C’est ce qu’il y a de plus rapide. La mort intervient dans un délai de 3 ou 4 minutes. En général, les patients préfèrent l’injection. Le patient s’endort en moins d’une minute, sans aucune douleur. Puis vient l’arrêt cardiaque et respiratoire. »
Claire Bazin : « A nous de trouver un noyau dur de médecins favorables. En 2007, un manifeste faisait état de plus de 2000 signatures de médecins ayant pratiqué l’euthanasie. »
Yves de Locht : « Beaucoup de médecins français refusent. C’est la clause de conscience. En Belgique, le médecin qui refuse doit transférer le dossier à un autre médecin. En Belgique francophone, 30% des médecins refusent de pratiquer l’acte. Dans la partie flamande, presque tous acceptent. »
Claire Bazin : « L’application des directives anticipées dépend aussi des convictions du médecin. Adhérer à l’ADMD, c’est opter pour sa philosophie de fin de vie. »
« Quand décidez-vous de passer à l’acte ? »
Yves de Locht : « Quand la douleur devient intolérable, on ne peut pas laisser souffrir les patients. Le suicide assisté reste un acte très difficile pour le médecin. L’euthanasie est un acte violent et encore plus difficile pour le médecin. La clause de conscience fait qu’aucun n’y est jamais obligé. Personnellement, j’arrêterai en vieillissant. Je laisserai la place aux plus jeunes. »
« Y a-t-il une formation à la fin de vie en France ? »
Yves de Locht : « Il n’y a pas en France de formation systématique aux soins de fin de vie et à l’euthanasie. Seulement optionnelle. La formation en Belgique comporte un aspect psychologique, et non pas seulement technique. Des médecins français viennent suivre la formation en Belgique. »
: «Que faut-il faire pour bénéficier d’une euthanasie en Belgique quand on est français ? »
Yves de Locht : « La Belgique se ferme aux étrangers pour l’euthanasie. Les Pays-Bas les refusent. L’euthanasie ne se pratique pas à la demande, du jour au lendemain. Nous offrons cette possibilité aux patients que l’on connaît et que l’on suit depuis longtemps. Le protocole veut que le médecin qui suit le patient constitue un dossier, sur lequel deux autres médecins donneront leur avis. Si l’acte est pratiqué à l’hôpital, le patient rentre le soir et l’euthanasie est pratiquée le lendemain matin. »
«Pourquoi tant de résistance en France ? »
Yves de Locht : « Les religions, toutes confondues, sont très influentes en France. Le pouvoir des mandarins, opposés à la loi, reste très fort. De plus, ça rapporte de l’argent et ça donne du travail de faire durer les gens. »
Intervention de Annie Le Houérou , Députée de Guingamp : « Le bât blesse chez les médecins. Il faudrait plus de médecins porteurs du projet de loi. Que la loi laisse le choix au patient. »
Claire Bazin : « Tant qu’une loi ne sera pas votée, les patients n’auront pas le choix, Les médecins resteront les décideurs.