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Fin de vie : les 800 000 soignants fantômes de l’opposition au droit de mourir

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Publié le
2 juin 2023
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Depuis le 16 février, le camp des opposants au droit de mourir s’est servi librement d’une contre-vérité – à savoir, que 800,000 soignants, médecins et infirmier(e)s compris, considèrent leur métier « incompatible avec la pratique d’une mort médicalement administrée». Voilà « un avertissement au chef de l’Etat », comme s’est félicité le Figaro.

Il est exact qu’à cette date, à l’initiative de la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), 13 organisations de soignants, se réclamant de 800,000 membres au total, ont pris position contre le droit de mourir dans une tribune du Figaro. Or les milieux conservateurs, jusqu’à l’extrême droite, ont entretenu, savamment ou pas, la confusion sur la vraie nature et portée de cet évènement. Ils y ont trouvé, ou plutôt inventé, une armée prête à se battre pour leur cause. 

Ainsi le philosophe Damien Le Guay, toujours dans le Figaro, découvre une preuve inexistante pour soutenir sa critique du droit de mourir : « Une pétition a récemment réuni 800.000 soignants opposés à ces projets » de réforme, écrivait-il le 4 avril.

En effet, ce n’était pas une pétition, ni dans la forme, ni sur le fond, et les 800,000 supporters affichés sont introuvables.

Le document d’abord : C’était une collection de « Réflexions éthiques interprofessionnelles sur les perspectives de légalisation de l’assistance au suicide et de l’euthanasie et leurs impacts possibles sur les pratiques soignantes ». Le texte explore les enjeux éthiques dans le détail, pour conclure que l’euthanasie est « catégoriquement » interdit pour les soignants. Par contre, il reconnaît que « l’opposition des soignants est différente » quand il s’agit du suicide assisté ; certains l’acceptent, à condition qu’ils n’accomplissent pas « l’acte d’administration » d’un produit létal. Le document ne comporte que les 13 logos des organisations signataires, et aucune signature individuelle.

Le Guay aurait pu confondre ce document avec un « manifeste » lancée par la SFAP en même temps, que l’organisation demandait à ses sympathisants de signer « pour une société qui prend soin de chacun. » Mais ce manifeste n’a récolté que 20,700 signatures à ce jour, selon le site de la SFAP. 

Il y a eu auparavant une pétition des soignants à l’adresse des « députés qui veulent légaliser l’euthanasie » ¸ dont notre collaborateur Jean-Louis Touraine, avec le soutien de la SFAP. Lancée il y a trois ans, la pétition a été signée 3057 fois, selon son hébergeur, change.org.

Dans les deux cas, on est très loin de 800,000 soignants en colère.

La même contre-vérité se trouve chez Le Mouvement Conservateur, qui fait alliance avec Marion Maréchal, la vice-présidente du parti zemmouriste, Reconquête, contre le droit de mourir : « Les soignants sont, d’ailleurs, en très grande majorité opposés à l’euthanasie, incompatible avec les métiers du soin. 800.000 d’entre eux sont signataires d’un texte expliquant leur refus de l’euthanasie. »

Dans Aleteia, un influent site d’informations Catholiques, un grand titre proclame deux contre-vérités dans une seule phrase : « ce sont 800.000 soignants qui signent un texte affirmant haut et fort leur refus de participer à l'aide active à mourir. »

Rappel aux faits : Ils n’étaient aucunement 800,000 à signer, et leur « refus » n’englobait pas le suicide assisté.

Tous ces médias ont laissé de côté une évidence béante : Si 13 organisations dénoncent une éventuelle réforme, cela ne veut pas forcément dire que chacun de leurs membres y adhère. En effet, une telle uniformité d’opinion parmi 800,000 professionnels sera étonnante. La SFAP en fournit la preuve dans un sondage de 2022. Même parmi des professionnels travaillant dans des unités de soins palliatifs – l’alternative proposée par la SFAP à la mort choisie – 15% sont favorables à « l’évolution de la législation vers l’instauration d’une mort intentionnellement provoquée. »

Mis à part les soins palliatifs, il y a bien une majorité d’opinion chez les soignants, mais sans doute pas dans le sens voulu ni par la SFAP et ses 12 alliés officiels, ni par leurs soutiens dans l’opinion très à droite. 

Si l’on peut croire un sondage récent auprès des corps médicaux, l’euthanasie sera acceptée par une large majorité des médecins. En 2020, lenquête Medscape sur « l’Ethique médicale en France » a relevé que « 42% [des médecins] sont en faveur de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté pour les patients qui ont des souffrances incurables, même s’ils pourraient survivre encore plusieurs années. » Ils étaient encore 29% a répondre « ça dépend » – des circonstances, des individus – à la question. Au total, 71% dans ces professions ne refusait pas l’euthanasie, dont plus que deux sur cinq qui l’acceptaient totalement.

Cela n’encouragerait pas, très probablement, certains opposants au droit de mourir de corriger leur copie. Ils sont très minoritaires, comme la Convention Citoyenne sur la fin de vie a rappelé. S’ils ne peuvent pas convaincre leurs concitoyens de la validité de leurs positions, ils peuvent toujours maquiller ou occulter les données selon leurs besoins. C’est chose faite, et même refaite. 

 Mark Lee Hunter (journaliste), Angèle Delbecq (journaliste), Jean-Louis Touraine (ancien médecin et parlementaire)

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