Projet de loi sur la fin de vie : À quoi joue Emmanuel Macron ?
De la pensée complexe aux actes confus, Emmanuel Macron vient définitivement de franchir un grand pas.
Poussé par une bonne intention lorsqu’il a demandé à la Convention citoyenne sur la fin de vie de définir des pistes pour améliorer la prise en charge de la dernière période – la plus difficile – de la vie, encouragé par l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique qui, pour la première fois de son existence, reconnaissait la possibilité d’une application éthique d’une forme d’aide active à mourir (accompagné plus tard par un avis presque identique de l’Académie nationale de médecine), épaulé par une ministre déléguée – Agnès Firmin Le Bodo – qui a fait un travail admirable de co-construction d’un projet de loi équilibré, Emmanuel Macron donnait à penser aux Français qu’enfin, après avoir été ignorés dans leur revendication de liberté depuis des décennies, une aide active à mourir allait être légalisée en France comme tant d’autres pays l’ont fait auparavant (récemment l’Espagne, l’Autriche, le Portugal, Cuba, Équateur).
Non ! De reports de son propre calendrier en dîners avec les représentants des cultes monothéistes, de la nomination d’une ultra-conservatrice au poste d’un grand ministère du travail, de la santé et des solidarités à celle d’un non moins conservateur au poste de ministre délégué à la santé, le président de la République s’enferme de plus en plus en son Palais et donne l’image d’un homme coupé des réalités et des demandes d’un peuple qui l’a pourtant, à deux reprises, conduit à l’Elysée.
Alors quoi… S’agit-il d’une stratégie pour donner le change aux plus conservateurs dans notre pays – dont les représentants des cultes – en les amadouant, pour mieux faire passer la pilule de l’une des dernières libertés individuelles, la plus fondamentale car l’ultime ? Ou bien, définitivement, celui qui a été élu comme le plus jeune de nos présidents de la Ve République et aussi le plus immobile en matière sociétale ? L’avenir prochain nous le dira.
Une échéance a été fixée, avant l’été 2024 (après déjà de nombreux reports), pour présenter le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, qui permettra un continuum des soins d’accompagnement pensés dans leur globalité, des soins palliatifs accessibles partout et pour tous, une aide active à mourir encadrée pour ceux qui souhaitent recourir à l’euthanasie et au suicide assisté. Soit cette échéance est respectée – notre nouveau Premier ministre s’y est engagé lors de son discours de politique générale – soit elle est à nouveau ignorée.
Si, d’aventure, ce calendrier devait une nouvelle fois ne pas être respecté, les Français qui en ont marre d’attendre seront en colère.
Emmanuel Macron croit sans doute, parce que ceux qui revendiquent (à près de 90%, tout de même !) le droit de choisir librement les conditions de leur propre fin de vie ne défilent pas dans la rue, que les Français ne sont pas capables de se mettre en colère sur ce sujet. Il se trompe lourdement.
En effet, les Français les plus en attente de cette loi sont aussi ceux qui sont les plus malades, les plus âgés, les plus souffrants, les plus fatigués par les épreuves de santé. Ils sont de ce fait les moins aptes, donc, à défiler dans la rue.
Le temps qui passe sans une loi de liberté les tue, agonisant indignement. Le président de la République, aujourd’hui, est comptable par ses atermoiements de ces drames de la fin de vie. Il en est – indirectement, mais tout de même – responsable.
L’Histoire aurait pu reconnaître Emmanuel Macron comme un président réformateur : il s’ancre dans la mouvance d’une idéologie politique qui refuse aux individus de s’autodéterminer.
Espérons que le président de la République reviendra à la raison. Non pas la raison des organisations qui militent en faveur de l’aide active à mourir – aucun des militants de l’ADMD ne s’intéresse aux intérêts particuliers – mais la raison des Françaises et des Français qui attendent cette loi, parfois depuis très longtemps.
Des Françaises et des Français qui, faute de possibilité d’exil, sont condamnés à mal mourir dans notre pays du fait d’une loi-impasse, dogmatique, que son prédécesseur, en 2016, a osé laisser voter.
Jonathan Denis
Président de l’ADMD