Euthanasie : «De plus en plus de Français demandent à mourir en Belgique» - Le Parisien
Yves de Locht publie « Docteur, rendez-moi ma liberté » chez Michel Lafon (*), un ouvrage dans lequel ce médecin généraliste aborde sans détour les actes de fin de vie auxquels il a eu recours auprès de nombreux patients, dans le cadre de la loi belge. Parmi ceux-ci figurent des Français, dont le nombre est « en augmentation ». Nous l’avons rencontré à Paris, alors qu’un avis très attendu du comité consultatif national d’éthique doit être rendu le 25 septembre sur une éventuelle évolution du droit français.
Combien avez-vous déjà pratiqué d’euthanasie de patients ?
YVES DE LOCHT. J’en ai pratiqué une cinquantaine depuis 2005, dont une majorité sur des citoyens français, qui n’y avaient pas droit en France. De plus en plus de Français demandent à mourir en Belgique. Ce sont toujours des sujets très difficiles. On ne prend pas ces décisions à la légère.
Quels sont les critères de la loi belge ?
Il faut une demande écrite du patient, que la maladie ou les conséquences d’un accident soient graves et incurables, certifiées par des documents de médecins, et, enfin, que le patient ait des souffrances physiques ou psychiques non apaisables.
Quels sont les profils de ces malades ?
Il y a des gens qui ont la maladie de Charcot (NDLR : pathologie neurodégénérative incurable), d’autres des souffrances terribles liées par exemple à des cancers et qui n’en peuvent plus. La plupart du temps, ils se sont vus répondre par leur médecin en France : il faut tenir, accepter la douleur. Je trouve que c’est un discours hypocrite.
Pourquoi formulez-vous ce jugement sévère sur vos confrères français ?
Qui sommes-nous, nous, médecins, pour savoir mieux que le malade s’il peut encore attendre avec de pareilles souffrances ? Pourquoi les laisser endurer ces maux ? Mais que feraient ces médecins à la place de ces malades ? Pourquoi ne pas laisser les gens décider librement de leur fin de vie ?
Mais, vous-même, en prenant ces décisions irréversibles, n’êtes-vous pas justement un médecin « tout puissant » ?
Non, je ne crois pas. Les actes que je pratique le sont toujours à la demande expresse et écrite du patient. Et sur la foi d’un dossier médical très clair, signé par d’autres médecins. Souvent je refuse de les pratiquer sur des dossiers qui sont mal étayés.
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En France, la loi Leonetti-Claeys prévoit maintenant un droit à une « sédation profonde et continue » dans certains cas. Qu’en pensez-vous ?
C’est une fausse avancée qui ne satisfait pas grand monde. En réalité, même avec les directives anticipées remplies par le malade, le pouvoir final reste aux médecins. Car, avec votre loi, même si le patient a demandé une sédation « profonde et continue », le médecin peut estimer de son côté que les conditions sont inappropriées et empêcher le processus. En plus, la façon dont est pratiquée cette sédation peut durer quinze jours sans que le patient puisse s’alimenter, ni boire… Cela peut provoquer des souffrances. Chez nous, cela se fait très rapidement avec une injection de barbiturique.
Pensez-vous que la loi va évoluer en France ?
Je ne le crois pas, malheureusement. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dit qu’il faut d’abord « évaluer » la loi Leonetti-Claeys. En fait, elle ne veut rien changer et reste dans le droit fil du pouvoir des médecins. Sous François Hollande, après une promesse électorale, presque rien n’a été fait. Moi ce que je constate, d’après ce que disent les patients, c’est que l’on meure souvent mal en France. Et rien ne change.
(*) « Docteur, rendez-moi ma liberté. Euthanasie, un médecin belge témoigne », du docteur Yves de Locht, Ed. Michel Lafon. 240 p. 17,95 euros.