Le serment d'Hippocrate... ce qu'en pense l'ADMD...
En 1839, Emile Littré propose une traduction du serment d’Hippocrate original, probablement rédigé au IVe siècle avant notre ère :
« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants :
Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.
Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille, je la laisserai aux gens qui s'en occupent.
Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.
Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.
Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! »
Pour venir jusqu’à nous – et pour s’imposer dans notre société, au point d’être érigé par certains médecins au-dessus de la loi – ce serment a fait l’objet, à maintes reprises, de modifications et d’adaptations.
Faisons abstraction des références aux dieux et aux déesses grecs ainsi qu’à la dévotion due aux professeurs de médecine et à leurs enfants. Elles sont le signe d’un autre temps et relève aujourd’hui de l’anecdote… Rangeons de la même façon, au rayon de la mythologie, l’innocence et la pureté dans lesquelles le médecin doit passer sa vie et exercer sa profession. Tout cela a disparu…
A propos du « pessaire abortif » et de l’ « opération de la taille », on comprend bien que le serment moderne a dû en faire abstraction. La loi Veil permet depuis 1975, en France, de pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Et les opérations de la vessie (lithotripsie), qui permettent d’extraire les calculs rénaux qui peuvent faire tant souffrir, sont aujourd’hui pratiques courantes… Le serment d’Hippocrate a intégré les lois et les pratiques, et le texte a évolué.
Le Serment original, rédigé dans un temps où le code de déontologie médicale n’existait pas, servait alors de cadre à l’exercice de toute une profession. Signé de la main d’un seul homme, il s’imposait à tous les autres. Il est le témoignage précieux d’une époque où la médecine en était à ses balbutiements.
Aujourd’hui, le Code de la santé publique – qui a intégré en 1979 le Code de déontologie médicale aux articles R. 4127 et suivants – donne le cadre juridique nécessaire à l’exercice des professions médicales, alors que le serment d’Hippocrate n’a d’autre valeur que symbolique.
Du reste, il existe à ce jour une multitude de versions de ce serment ; et toutes les facultés de médecine ne le font pas prononcer aux impétrants ; cet exercice relevant du rite de passage, et non de l’application de la loi. Dans certains pays – c’est le cas de la Suisse, au niveau fédéral – le serment d’Hippocrate n’est pas prononcé par les diplômés qui font, néanmoins, le serment de respecter le code de déontologie médicale. D’autres pays ont une version du Serment qui relève uniquement de l’éthique et n’exclut aucune pratique (le Canada, par exemple).
Il est donc évident, à la lumière de tout ceci, que ce n’est pas un texte ancien, maintes fois réécrit, n’ayant aucune valeur juridique, qui doit être brandi pour empêcher la légalisation de l’aide active à mourir. Quand celle-ci aura été adoptée par le Parlement, l’Ordre des médecins – qui en a sa propre version – réécrira une nouvelle version du serment d’Hippocrate, qui tiendra compte de cette avancée majeure en matière des droits humains qu’est la liberté de choisir, en fin de vie, les conditions de sa propre mort.
PhL