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Aide active à mourir : « Le risque d’une nouvelle loi pour (presque) rien »

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Publié le
11 novembre 2023
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Inclure une condition de pronostic vital engagé « à moyen terme » pour bénéficier de l’aide active à mourir risque de vider la future loi sur la fin de vie d’une grande partie de sa portée pratique, s’inquiètent, dans une tribune au « Monde », Mélanie Heard, responsable du pôle santé à Terra Nova, et Martine Lombard, professeure émérite de droit.

Le grand débat sur la fin de vie aura accouché d’une souris si la loi tant attendue ne donne, en sus de précisions sur les soins palliatifs, qu’un espoir très limité aux malades ayant épuisé toutes les possibilités de soins et demandant à être aidés à mourir. C’est pourtant ce que font craindre les indications données par la ministre [déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé] Agnès Firmin Le Bodo sur le projet de loi qui sera présenté au mois de décembre en conseil des ministres. Nous voilà face au risque d’une nouvelle loi pour (presque) rien.

Le pire n’est pas tant la priorité qui serait sans doute donnée à l’autoadministration du produit létal par le malade (dite « suicide assisté »), option préférée à ce stade par le gouvernement – sous la pression des institutions médicales. Elle serait heureusement tempérée : abandonner à leur sort ceux qui ne peuvent faire eux-mêmes le dernier geste serait si injuste qu’une « loi d’humanité » – selon les mots de la ministre – permettant une administration du produit létal par un tiers (« exception d’euthanasie », dit-on) est à l’étude.

Ce montage est fragile, alors que le mieux serait que tous les malades éligibles à une aide à mourir aient le choix entre les deux modalités, mais toujours avec l’assistance d’un soignant pouvant poser une perfusion, quitte à ce que le malade tourne lui-même la molette. Cela éviterait les incidents par régurgitation déplorés parfois ailleurs, et répondrait autant à un esprit de solidarité que de liberté.

Qu’est-ce que « le moyen terme » ?

Plus dangereuse encore est la condition, présentée comme une évidence par la ministre, d’un « pronostic vital engagé à moyen terme » pour bénéficier d’une aide active à mourir. Elle viderait en effet la loi d’une grande part de sa portée pratique.

Il s’agirait, dit-on, d’une « ligne rouge » posée par le président de la République. Son discours du 3 avril 2023 devant les membres de la convention citoyenne en était pourtant loin. Enumérant les conditions d’éligibilité à l’aide à mourir, il identifiait le discernement, la dimension incurable de la maladie, le caractère réfractaire des souffrances psychiques et physiques, avant de mentionner, mais comme hypothétique et sans autre précision, « l’engagement du pronostic vital ».

Il faut donc rappeler la véritable origine et les effets potentiels d’une condition de pronostic vital engagé « à moyen terme ». Elle nous vient du trop fameux « modèle de l’Oregon » que le rapport Sicard de 2012 décrivait comme la moins mauvaise des formes d’aide à mourir, tout en la refusant alors par principe. Pour bénéficier d’une prescription de produit létal, un malade doit n’avoir qu’une espérance de vie de six mois maximum. En 2022, l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique a placé cette question du délai prévisible de la mort au cœur de sa réflexion.

Sous la plume de Régis Aubry et d’Alain Claeys, les insuffisances du cadre légal actuel sont pointées, la loi de 2016 réservant la sédation profonde et continue à ceux dont le pronostic vital est engagé à court terme. Aussi, « certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais à moyen terme, ne rencontrent pas de solution à leur détresse dans le champ des dispositions législatives ».

Ils citent alors l’Oregon et d’autres Etats américains, ainsi que leurs épigones du Pacifique, comme ouvrant une voie dont la France pourrait s’inspirer. Sans jamais expliquer pourquoi il faudrait ne se préoccuper que de ceux dont le pronostic vital est engagé « à moyen terme », en excluant ceux dont les souffrances peuvent durer plus longtemps.

De la même façon, l’avis du 27 juin 2023 de l’Académie nationale de médecine reprend l’exigence de « garanties inspirées du strict encadrement en vigueur dans l’Etat de l’Oregon » pour circonscrire la nécessité de « répondre à la désespérance de personnes demandant les moyens d’abréger les souffrances qu’elles subissent » au cas où « le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme ». Le modèle de l’Oregon est à nouveau l’unique justification de la condition d’un tel pronostic vital engagé à moyen terme.

Ambiguïtés et responsabilité médicale

Ses effets ont pourtant été dénoncés par ceux qui l’ont imité, notamment en Nouvelle-Zélande. Dans une lettre ouverte publiée par le NZ Herald du 24 juin 2023, des médecins relèvent que trop de malades sont privés de cette aide alors même qu’ils éprouvent des souffrances insupportables.

Le problème posé par une telle condition tient à la nécessité d’apporter une preuve négative : le malade ne pourra vivre plus de six mois. L’attester est par nature quasi impossible, et bien des médecins français le disent d’ores et déjà. Assouplir un peu cette condition, à l’image de ce qu’ont fait les Etats fédérés d’Australie en portant ce délai à douze mois en cas de maladie neurodégénérative, laisserait encore subsister la difficulté pour un médecin d’attester que le malade ne vivra pas plus longtemps.

Il serait peut-être tentant de faire disparaître le libellé en mois d’une condition – conservée – de « pronostic vital engagé à moyen terme ». Mais le remède serait pire que le mal car la nouvelle loi connaîtrait sans doute le sort de celle de 2016. Rappelons que ce n’est pas du fait d’un règlement d’application que la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est si peu appliquée.

La loi mentionne un pronostic vital engagé « à court terme » et ce sont les médecins qui ont dû interpréter cette condition, en la restreignant en pratique à quelques heures ou quelques jours. Or, sous couvert de corriger les carences de 2016, on s’apprête en réalité, avec la notion de « moyen terme », à recréer les mêmes ambiguïtés. Car la charge serait tout aussi lourde pour les médecins d’attester que le pronostic vital d’un malade serait engagé « à moyen terme », sans savoir ce qu’il en est. Une extrême prudence serait d’autant plus probable qu’ils engageraient leur responsabilité. Une telle loi porterait en elle son futur échec.

Ce serait d’autant moins pardonnable qu’aucune des législations adoptées en Europe n’a formulé une telle condition. Agissons « en Européens » plutôt que d’être le cheval de Troie du modèle américain !

 

Mélanie Heard est docteure en science politique, membre du comité exécutif de la chaire Santé de Sciences Po et responsable du pôle santé à Terra Nova ; Martine Lombard est professeure émérite en droit public de l’université Paris-Panthéon-Assas, autrice de « L’Ultime Demande » (Liana Levi, 2022).

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