Fin de vie: un vétérinaire relaxé après une prescription de médicaments létaux à un ami atteint de la maladie de Charcot - Libération
Le tribunal correctionnel d’Angers a mis hors de cause un vétérinaire, poursuivi pour avoir rédigé de fausses ordonnances pour permettre à l’un de ses amis, atteint de la maladie de Charcot, de mettre fin à ses jours. Une décision rare, basée sur «l’état de nécessité», qui pourrait s’inviter dans les prochains débats sur la fin de vie promis par Emmanuel Macron.
Peu de bruit, pas de fracas, mais une décision rare. Lundi, le tribunal correctionnel d’Angers a relaxé un vétérinaire qui était jugé pour «faux et usage de faux» après avoir rédigé de fausses ordonnances. Lesquels documents falsifiés devant permettre à l’un de ses amis atteint de la maladie de Charcot de se procurer des médicaments létaux normalement dédiés aux animaux, et mettre ainsi fin à ses jours. A l’issue des débats, le juge a décidé de retenir «l’état de nécessité» et de le mettre hors de cause. «Une première», selon l’avocat du vétérinaire, Me Antoine Barret, qui salue «le courage» des magistrats, qui ont «été à l’écoute d’une situation individuelle, sans dogmatisme». Il est encore un peu tôt pour savoir si leur décision – dont les motivations n’ont pas encore été écrites – fera jurisprudence. D’autant plus que le parquet a annoncé mercredi soir faire appel de la relaxe. Elle risque malgré tout de ressurgir à la faveur d’un nouveau débat politique sur la fin de vie, esquissé par Emmanuel Macron dans son costume de président-candidat, en mars, lors d’un déplacement à Aubervilliers.
«Son geste n’a rien de militant»
Pour Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay, la décision «pose problème», car elle «s’oppose à la loi Clays-Leonetti de 2016», qui permet aux malades, sous certaines conditions, de demander une sédation profonde et continue jusqu’au décès. «Transgresser la loi de 2016 relative aux droits des malades en fin de vie pour des motifs de compassion pose en soi bien des questions. Mais recourir de surcroît à des produits utilisés pour euthanasier des animaux est une pratique stupéfiante, pointe Emmanuel Hirsch. L’assistance médicalisée en fin de vie relève d’une compétence de médecin avec des protocoles respectueux de la dignité humaine et la prévention de toute souffrance.» Un argument développé au cours de l’audience par le procureur, qui a rappelé que la profession de vétérinaire ne donnait pas droit à des prescriptions pour des humains. «Mais il ne s’agissait pas d’une question d’appréciation médicale, simplement d’un appel à l’aide auquel mon client a répondu avec compassion et empathie», balaie Antoine Barret.
On ne connaîtra d’ailleurs ni l’âge, ni la ville, encore moins le nom du prévenu. «Il ne veut pas qu’on puisse l’identifier. Son geste n’a rien de militant. Il a simplement été face à une situation humaine tragique à laquelle il a décidé de répondre», précise son conseil. Il explique que son client a dans un premier temps rejeté la requête de son ami. Avant de changer d’avis, confronté à son «immense souffrance». Rapidement identifié par les enquêteurs après la découverte du corps, le vétérinaire reconnaît immédiatement les faits. Les proches du défunt ne déposent pas plainte, «ils soutenaient sa démarche», assure Me Antoine Barret. Le procès se déroulera ainsi sans partie civile.
«Etat de nécessité»
La loi française ne condamne pas l’aide au suicide. Sauf si cette aide implique la mobilisation de moyens illégaux, comme c’était le cas dans cette affaire. «Mais en retenant l’état de nécessité, tel qu’il est décrit dans le code pénal, le tribunal a admis que les souffrances éprouvées par le malade étaient telles qu’elles pouvaient justifier la commission d’un acte nécessaire à sa sauvegarde», détaille l’avocat. Selon lui, ce jugement illustre l’importance de «considérer la personne dans son intégralité». «C’est-à-dire, pas uniquement comme un être vivant. Mais avec sa souffrance, son empathie, et ses souhaits.»
L’affaire met en lumière une lacune de la loi Clays-Leonetti : aujourd’hui il n’existe pas de cas, même très graves, pour lesquels une euthanasie plus directe que la sédation lente est prévue. «Dans certaines circonstances spécifiques et sous contrôle d’un magistrat, une “exception d’euthanasie” pourrait être acceptable sous certaines conditions», estime Emmanuel Hirsch. La maladie de Charcot pourrait faire partie de ces cas particuliers. Celui qui en est atteint garde toute sa conscience mais perd petit à petit, en trois ans environ, l’usage de ses muscles jusqu’à l’étouffement. «Elle pourrait justifier un acte létal, en d’autres termes, une exception d’euthanasie encadrée par le législateur», imagine encore le professeur d’éthique médicale.