Transfert de fonds vers l’étranger pour un suicide assisté ou une euthanasie
I. Obligation de la banque de transférer les fonds
1/ Juridiquement, un établissement bancaire doit se conformer aux ordres de son client. En effet, un ordre de virement constitue un mandat de payer auquel la banque doit se soumettre. À défaut, l’inexécution de l’ordre constitue une défaillance susceptible d’engager la responsabilité de la banque.
Au surplus, un établissement bancaire est tenu d’un devoir de non-ingérence ou de non-immixtion dans les affaires de son client et leur gestion. Ce devoir impose à la banque d’exécuter les ordres de virement reçus sans en rechercher les raisons, y compris lorsque l’acte envisagé par le client est illicite.
Le devoir de non-ingérence est toutefois limité par le devoir de vigilance de la banque et par l’obligation qui en résulte de vérifier la régularité des ordres qui lui sont soumis. Ainsi, le devoir de vigilance impose de contrôler les ordres de virement émis par le client afin de déceler toute anomalie apparente, c’est-à-dire suffisamment ostensible pour ne pouvoir échapper au banquier normalement prudent et diligent (imitation grossière de signature, grattage, montant inhabituel par rapport aux habitudes du client). En présence d’une telle anomalie, la banque doit alerter le client et refuser de traiter l’opération pour éviter tout préjudice qui pourrait en résulter. À défaut, sa responsabilité peut être engagée.
2/ En fait, un ordre de virement soumis par un particulier et ne comportant aucune anomalie apparente ne serait pas susceptible de justifier un refus d’exécution de la part de sa banque. En effet le refus opposé serait uniquement fondé sur la finalité du virement. Or, il n’appartient pas à la banque de s’immiscer dans la gestion des affaires de son client en refusant d’exécuter un ordre de virement, quand bien même la finalité serait illicite.
Par conséquent, si une banque venait à refuser d’exécuter l’ordre de virement régulier de son client, au motif qu’il est destiné à financer une opération de suicide assisté ou d’euthanasie à l’étranger, sa responsabilité civile pourrait être recherchée pour manquement à son devoir de non-ingérence.
II. Absence de base légale de la rétention de fonds par la banque
A. Absence d’infraction commise sur le territoire étranger
Par hypothèse, si une personne souhaite aller pratiquer une euthanasie ou un suicide assisté à l’étranger, c’est que ces actes sont légaux sur le territoire concerné.
B. Absence d’infraction commise sur le territoire français
1/ En droit français, le suicide médical assisté ou l’euthanasie ne sont réprimés spécifiquement par aucun texte pénal. Ils peuvent toutefois faire l’objet de poursuite pénale sur des fondements connexes, tels que l’homicide, la non-assistance à personne en danger ou l’exercice illégal de la pharmacie.
Pour être caractérisée, les éléments constitutifs de l’infraction doivent avoir été réalisés en tout ou partie sur le territoire français, sinon la loi pénale française ne s’applique pas.
2/ En fait, un particulier ayant uniquement soumis un ordre de virement à sa banque pour financer l’opération de l’euthanasie ou le suicide médical assisté à l’étranger ne commettrait aucune infraction. En effet, la remise de fonds à un tiers dans le but de financer une euthanasie ou un suicide assisté n’est pas un élément constitutif d’exercice illégal de la pharmacie ou d’une autre infraction connexe.
Aucun élément constitutif de l’infraction ne serait donc caractérisable sur le territoire français et ainsi aucune infraction ne serait commise sur le territoire français.
C. Impossibilité de retenir un acte de complicité
1/ En droit, l’article 121-6 du code pénal dispose : « Sera puni comme auteur le complice de l’infraction, au sens de l’article 121-7. » L’article 121-7 dispose ainsi : « Est complice d’un crime ou un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »
Or, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, il est impossible de retenir la complicité d’une personne lorsqu’aucune infraction principale n’est caractérisée. Au surplus, la tentative de complicité n’est pas punissable.
2/ En fait, un particulier ayant simplement émis un ordre de virement dans l’objectif de financer une opération de suicide assisté ou une euthanasie à l’étranger ne commettrait aucune infraction pénale, ni sur le territoire français ni sur le territoire étranger. Sa banque ne pourrait donc en aucun cas justifier un refus d’exécuter ce virement par un hypothétique acte de complicité.
Par conséquent, une banque ne disposerait d’aucun fondement légal pour refuser d’exécuter l’ordre de virement soumis par son client.
III. Conclusion
1/ Le financement d’une opération de suicide assisté ou d’euthanasie à l’étranger depuis un compte bancaire français ne constitue une infraction pénale ni sur le territoire français ni sur le territoire étranger.
2/ En conséquence, la banque serait tenue de transférer les fonds conformément à l’ordre de virement, sans s’immiscer dans les affaires de son client.