« Nous, professionnels de santé, devons accompagner les malades sans espoir de guérison dans leur demande d’aide active à mourir »
Tribune. Un collectif rassemblant plus de 90 professionnels de santé réclame, dans une tribune au « Monde », de pouvoir accéder à la demande des patients qui souhaitent bénéficier d’une aide active à mourir et formulent des mesures à déployer pour cet accompagnement.
Un projet de loi autorisant l’aide active à mourir sera remis prochainement au président de la République. Ce texte devra en préciser les modalités : euthanasie (le médecin administre la substance létale) et/ou suicide assisté (le patient se l’administre lui-même), ainsi que les critères d’accès (pronostic vital engagé à moyen terme, accès possible sur directives anticipées pour exprimer ses souhaits concernant sa fin de vie…).
Dans les pays qui autorisent le suicide assisté ou l’euthanasie, les médecins ont l’entière responsabilité de la prescription d’une substance létale, après évaluation de la demande. Seule la réalisation de l’acte varie, effectuée par un médecin pour l’euthanasie, par la personne malade pour le suicide assisté. Dans tous les cas, l’aide active à mourir répond à la volonté libre et éclairée d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, face à des souffrances inapaisables. C’est le prérequis commun à l’ensemble des pays ayant légiféré en faveur d’une aide active à mourir, reconnaissant ainsi un droit à l’autodétermination des personnes malades et un manque dans l’accompagnement de fin de vie.
Le choix opéré par des Etats (Autriche, Suisse, Oregon) d’opter pour le suicide assisté plutôt que pour l’euthanasie peut s’expliquer par un certain nombre de facteurs, notamment culturels, mais aussi par la réticence de certains professionnels de santé. Ainsi, dans les pays autorisant seulement le suicide assisté, le rôle du médecin s’arrête à la prescription du produit létal. Aucune assistance médicale secondaire n’est proposée, ni pour la personne malade, ni pour ses proches.
En Suisse, l’accès au suicide assisté nécessite une adhésion préalable auprès d’associations de bénévoles. L’examen de la demande et la prescription du produit létal sont effectués par un médecin bénévole de l’association. Après le décès, une enquête judiciaire est systématiquement réalisée auprès des personnes présentes, destinée à vérifier que la personne malade se soit bien auto-administré la substance létale, indépendamment de toute pression extérieure.
Nécessaire responsabilité médicale partagée
Alors que la France s’apprête à légiférer, le gouvernement semble s’orienter vers un accès unique au suicide assisté, limitant ainsi l’implication des professionnels de santé, en accord avec la position de ceux qui se sont exprimés contre toute forme de participation à une aide active à mourir.
Cependant, nous, professionnels de santé de terrain également engagés auprès de personnes atteintes de pathologies très diverses, souhaitons exprimer ici une position différente.
Nous qui soignons des personnes malades sans espoir de guérison et dont les souffrances ne peuvent être apaisées dans le cadre législatif actuel estimons qu’il est de notre responsabilité de les accompagner dans leur demande d’aide active à mourir, qu’il s’agisse d’une demande de suicide assisté ou d’euthanasie. Dès lors que la demande d’aide active à mourir nous apparaît comme étant le reflet d’une volonté libre et éclairée, nous estimons de notre responsabilité de leur garantir une assistance médicale jusqu’à l’acte final afin de leur permettre une mort digne et apaisée.
Une responsabilité médicale partagée est nécessaire. L’accès à l’aide active à mourir sur demande de la personne malade devrait être validé par deux médecins indépendants dont l’un spécialiste de la pathologie concernée, l’autre étant idéalement le médecin référent dans un parcours de soins donné. Cette double évaluation devrait être effectuée dans une certaine temporalité destinée à s’assurer de la persistance de la demande mais aussi adaptée à une situation clinique pouvant être rapidement évolutive. Un avis consultatif collégial préalable serait souhaitable, établi par l’équipe soignante élargie (médecins, infirmiers, psychologues…), mais aussi par des représentants des sciences humaines et sociales, de la société civile…
En ville comme à l’hôpital
L’évaluation de la volonté libre et éclairée de la personne malade implique qu’elle reçoive une information loyale sur sa situation médicale et sur toutes les ressources thérapeutiques disponibles, dont les soins de support et les soins palliatifs. Elle nécessite d’être réinterrogée tout au long du parcours. Un accès sur directives anticipées pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives et personnes en état de conscience minimal devrait être considéré.
Une assistance médicale continue est également requise. La présence et l’assistance des professionnels de santé devraient être prévues dans toutes les phases de l’aide active à mourir : de l’évaluation de la demande à l’acte final, quelle que soit la modalité d’administration choisie, afin de prévenir et pallier tout événement indésirable durant et après le geste, et afin d’assurer un accompagnement des proches.
L’accès à l’aide active à mourir devrait être garanti en ville comme à l’hôpital, ce qui nécessite une coordination entre les différents acteurs du territoire (médecins traitants, infirmiers libéraux, référents hospitaliers, pharmaciens…). Une clause de conscience spécifique, pour tout professionnel de santé ne souhaitant pas être impliqué, devrait être prévue par la loi.
Enfin, un enregistrement de toutes les demandes devrait être effectué sur un registre national ou régional, incluant la notification de tous les éléments cliniques pertinents, les personnes impliquées, les décisions prises et la traçabilité des actes effectués. Une commission ad hoc devrait examiner de façon trimestrielle ce registre et publier annuellement des données de suivi.
Liste des 103 signataires de la tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 07/09/2023 :
- Mathieu Acquier, Réanimateur
- Valérie Assuerus, Neurologue
- Sophie Auriacombe, Neurologue
- Gaelle Bailleul, Gériatre
- Marie Bannier, Chirurgien sénologique
- Lucie Barthod, Médecin généraliste
- Nadia Benmoussa-Rebibo, Chirurgien ORL
- Khalida Berkane, Medecin addictologue
- Gilles Bernardin, Réanimateur
- Bryan Berthet-Delteil, Anesthésiste réanimateur
- Jean-Philippe Bertocchio, Nephrologue
- Pierre Beuriat, Neurologue
- Camélia Billard, Oncologue
- Muriel Blery, Médecin généraliste
- François Blot, Réanimateur
- Laetitia Bodenes, Réanimateur
- Benedetta Bodini , Neurologue
- Cecilia Bonnet , Neurologue
- Serge Boudon, Neuropsychiatre
- Alexandre Boyer, Réanimateur
- Christine Brefel Courbon, Neurologue
- Ingrid Breuskin, Chirurgien ORL
- Léandre Buton , Oncologue
- Diana Cardenaz-Braz, Médecin nutritionniste
- Elisabeth Cohen-Hadria, Psychologue clinicienne
- Olivier Colin, Neurologue
- Marie-Christine Commandeur, Psychiatre
- Jacques D'Anglejan, Neurologue
- Eric Dansin, Pneumo-oncologue
- Caroline Dehais, Neuro-oncologue
- Cécile Delorme, Neurologue
- Sophie Demeret, Neuro-réanimateur
- Lucas Di Meglio, Neuro-réanimateur
- Gilles Dreyfus, Chirurgien cardiaque
- Anne Laure Dubessy, Neurologue
- Sarah Dumont, Oncologue
- Olivier Fain, Médecin interniste
- Bruno Falissard, Psychiatre
- Frank Ferrari, Infirmier de coodination
- Emmanuel Flamand-Roze, Neurologue
- Margot Fremaux, Anesthésiste
- Béatrice Garcin , Neurologue
- Marie Luce Gilbert, Anesthésiste réanimateur
- Pierre-Jean Gonon, Neurologue
- Francois-Xavier Goudot, Cardiologue
- François Gueyffier, Cardiologue
- Anna Heinzmann, Neurologue
- Nathalie Ho Hio Hen, Médecin nutritionniste
- Pascale Homeyer, Neurologue
- Dominique Hurel, Réanimateur
- Ahmed Idbaih, Neuro-oncologue
- Bechir Jarraya, Neurochirurgien
- Catherine Jousselme, Psychiatre
- Cathy Landu, Infirmière
- Bertrand Lapergue, Neurologue
- Frederique Lapierre, Cadre de santé
- Sylvie Lavernhe, Neurologue
- Andrea Lazzarotto, Neurologue
- Emmanuelle Le Page, Neurologue
- Johan Leguilloux, Neurologue
- Timothée Lenglet, Neurologue
- Michèle Levy-Soussan, Médecin de soins palliatifs
- Muriel Loiseau, Infirmière
- Philippe Manceau, Neurologue
- Vincent Marchand, Cadre de santé
- William Marie, Réanimateur
- Clémence Marois, Neuro-réanimatrice
- Antoine Marty, Médecin réanimateur
- Amandine Maulard, Chirurgienne oncologique
- Florian Maxwell, Radiologue
- Jean Yves Mear, Neurologue
- Valerie Mesnage, Neurologue
- Murielle Mollo, Médecin vasculaire
- Sylvie Mondésir, Infirmiere de coordination
- Céline Nagera-Lazarovici, Onco-gériatre
- Claude Nasri, Infirmier
- Fabienne Ory, Neurologue
- Evangelia Pappa, Neurologue
- Lucie Pelan, Neuropsychologue
- Lucie Pierron, Neuro-généticienne
- Dimitri Psimaras, Neuro-oncologue
- Corinne Quéruel-Gonon, Neurologue
- Christine Raynaud-Donzel, Pneumo-oncologue
- Jean Reignier, Réanimateur
- Elisabeth Rivet, Cadre de santé
- René Robert, Réanimateur
- Julien Rossignol, Hématologue
- Nathalie Rosso, Psychiatre
- Lionel Rostaing, Néphrologue
- Fantoumata Sacko, Infirmière
- Alexandra Samier Foubert, Neurologue
- Cathy San Marcelino, Infirmière
- Tarek Sharshar, Neuro-réanimateur
- Dilanda Terfaia, Neuropsychologue
- Jean-Luc Thibault, Neurologue
- Jean-François Tuloup, Médecin généraliste
- Lynn Uhrig, Anesthésiste-réanimateur
- Anne Veinstein, Réanimateur
- Diane Villemonte De La Clergerie, Interne de médecine nucléaire
- Nicolas Weiss, Neuro-réanimateur
- Frédéric Wolff, Cadre de santé
- Marion Yger, Neurologue
- Nadia Younan, Neuro-oncologue